Disques

L’hommage du Sacre à Stokowski

Le bouillonnant Québécois Yannick Nézet-Séguin s’est peu à peu hissé au premier rang des grands chefs d’orchestre de sa génération. Alors qu’il n’a pas encore quarante ans, le voici à la tête des plus prestigieuses phalanges, démontrant un fabuleux sens de la direction : précision, vigueur, raffinement, couleurs… Il dirige l’Orchestre Métropolitain de Montréal depuis 2000, l’Orchestre philharmonique de Rotterdam depuis 2008 et devient la même année chef d’orchestre invité principal de l’Orchestre philharmonique de Londres. Le 18 octobre 2012, à 37 ans, il devient chef principal du prestigieux Orchestre de Philadelphie.
Toulouse l’a accueilli à plusieurs reprises, aussi bien à la tête de l’Orchestre national du Capitole, qu’à celle de son Orchestre de Rotterdam avec lequel il sera d’ailleurs de nouveau présent à la Halle aux Grains, le 15 avril 2014, dans le cadre de la saison Grands Interprètes.

Voici le premier enfant discographique de son association avec The Philadelphia Orchestra. Ce fabuleux orchestre possède une longue histoire que Nézet-Séguin célèbre l’année du centenaire du Sacre du Printemps. Une partition emblématique dont justement cette même phalange a assuré la création américaine en 1922, sous la direction du légendaire Leopold Stokowski. Et ce premier album est l’occasion de célébrer en même temps Stravinsky et Stokowski, chef célèbre pour son charisme et l’originalité de ses conceptions musicales.

Il n’hésitait d’ailleurs pas à prendre quelques libertés avec les partitions qu’il abordait. Il n’en est rien avec Yannick Nézet-Séguin. La version électrisante du Sacre du Printemps qu’il nous livre ici cloue l’auditeur sur place. Non pas qu’il mise sur le seul côté spectaculaire, mais il n’adoucit en rien les arêtes de cette œuvre qui reste prodigieusement moderne. La précision, les contrastes de dynamique, le relief sonore qu’il obtient de cet orchestre, décidemment somptueux, confèrent au message de Stravinsky un impact fulgurant. La virtuosité instrumentale, les riches déploiements de couleurs maintiennent en haleine tout au long de cette exécution. Voici à coup sûr l’une des grandes interprétations de cette année d’anniversaire.

Cette célébration s’accompagne donc d’un bel hommage à son prédécesseur à la tête du Philadelphia Orchestra, Leopold Stokowski, et à son imagination débordante. Quatre transcriptions pour orchestre signées du grand homme reçoivent ici les plus luxueuses des exécutions. Il y a tout d’abord les incroyables versions orchestrales de trois fameuses pièces pour orgue de Johann Sebastian Bach : la célébrissime Toccata et Fugue en ré mineur (qui ouvrait d’ailleurs le mythique dessin animé de Walt Disney, Fantasia !), la « petite » Fugue en sol mineur (qui prend ici des proportions gigantesques) et la belle Passacaille et fugue en ut mineur. Tout cela bouillonne et éclabousse de vitalité. L’arrangement de la Pastorale de Stravinsky, qui complète ce portrait, exalte enfin le caractère poétique de cette courte pièce.

La qualité superlative de cet orchestre est évidemment à souligner. Yannick Nézet-Seguin, qui célèbre « La générosité du jeu, la noblesse de sa démarche », n’hésite d’ailleurs pas à risquer une comparaison automobilistique : « C’est effectivement une Cadillac, mais qui a la puissance et la virtuosité d’une Ferrari. Et c’est quelqu’un qui n’a même pas son permis de conduire qui vous le dit ! »

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