Disques

Les Reines baroques

La mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato est certainement l’une des cantatrices les plus attachantes du moment. Tout le monde reconnaît en elle une interprète ne privilégiant aucunement le beau son et la virtuosité à l’expression et à l’émotion. Son nouveau récital est une preuve totalement flagrante de ce choix.

Sous la direction d’Alan Curtis, l’ensemble Il Complesso Barocco accompagne l’interprète dans un vaste panorama des figures royales éplorées de l’Antiquité méditerranéenne dont les compositeurs baroques se sont emparés. C’est ainsi que défile devant nous toute une galerie de Reines bafouées, allant de l’Octavia monteverdienne (L’Incoronazione di Poppea – 1643) jusqu’à l’Armida que Joseph Haydn compose en 1784. Certaines sont célèbres dans le monde lyrique et souvent enregistrées. Il en est ainsi du rôle-titre d’Alcina et de la Cléopâtre du Giulio Cesare d’Haendel.

Mais ce disque offre également de belles découvertes. Et non des moindres. Je pense ici plus particulièrement au rôle-titre de la Berenice qu’Orlandini écrit en 1725, ou encore l’Ifigenia de Porta, créé en 1738. Le programme fait également une place largement méritée à un compositeur tombé dans l’oubli, l’Allemand Reinhard Keiser (1674-1739), nous permettant de facto de découvrir deux arias extraites de Fredegunda (1715) et Octavia (1705). Hasse et son Antonio e Cleopatra (1725) sont aussi à l’honneur, ainsi que les plus confidentiels Cesti (Orontea – 1656) et Giacomelli (Irene – 1734). Du récitatif rhétorique le plus accompli et obstiné dans sa forme (Monteverdi) aux arias da capo les plus flamboyantes, la palette autant vocale que dramatique qui est ainsi offerte à Joyce DiDonato lui permet de s’exprimer avec une ferveur et une émotion permanentes. A l’exception de la Cleopatra de Hasse qui fut créée par l’immense castrat Farinelli, tous les autres rôles ici enregistrés le furent par des sopranos ou, exceptionnellement, par des voix s’apparentant aujourd’hui à des mezzo-sopranos. La tessiture réclamée est donc celle d’une voix qui s’épanouit dans le registre aigu et, clairement, Joyce DiDonato montre depuis quelques temps certaines duretés dans cette zone. Cette réserve, que l’on ne peut ignorer, n’enlève évidemment rien à la merveilleuse souplesse d’émission de cette virtuose, autant dans la vocalise que le trille, la musicalité, la dynamique, le phrasé et la nuance. Mais ce qui prime avant tout dans ce récital enregistré en 2012, est certainement l’engagement dramatique qui anime ici toutes ces héroïnes. La cantatrice nous les présente avec une science stupéfiante de l’incarnation, autant dans la violence que l’abandon, la révolte qu’une suprême élégance devant l’événement  ultime. Trouvant le meilleur de sa voix dans un medium chaleureux et velouté, Joyce DiDonato nous fait une véritable démonstration de rigueur stylistique alliée à un sens du mot confondant de profondeur.

Paris et Toulouse ont le bonheur de recevoir cette cantatrice dans ce même programme.

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