Le chœur de chambre Les éléments, sous la direction de Joël Suhubiette, imagine régulièrement de grands programmes thématiques créés tout d’abord en public puis enregistrés pour le plus grand bonheur des discophiles. Iberia fut créé dans la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse, dans le cadre des Rencontres des Musiques Anciennes d’Odyssud-Blagnac puis présenté dans l’intimité de la Chapelle des Carmélites de Toulouse. Voici enfin l’enregistrement des grandes œuvres polyphoniques espagnoles et portugaises qui composent ce splendide voyage musical.
La succession de ces pièces originales d’une rare beauté atteint des sommets aussi bien formels qu’expressifs. Ainsi se confirment, si besoin était, les qualités suprêmes de cet admirable chœur de chambre. Une fois encore on admire le haut niveau indéniable de chacun de ses membres en termes de caractéristiques vocales, mais au-delà, l’impeccable cohésion de l’ensemble, la justesse absolue, le même élan, la même conviction que la souplesse de la direction de Joël Suhubiette hisse sur des cimes musicales.
Il s’agit, avec ce programme Iberia, d’accompagner un parcours musical original à travers le temps dans la péninsule ibérique : Espagne et Portugal sont ainsi sollicités dans leur histoire, du Moyen Âge à la Renaissance et à la période actuelle. Du XIIIème siècle au XXIème, tout un pan de la musique vocale ibérique a cappella est ainsi révélé. Deux créations contemporaines, résultat de commandes de l’ensemble vocal et de l’Etat, s’intègrent ainsi harmonieusement dans ce parcours vocal intense et raffiné.
Les Cantigas de Santa Maria du fameux roi de Castille et León, Alfonso X El Sabio (1221-1284) débutent ce programme. Ces hymnes religieux, Sancta Maria, Strela do dia, essentiellement monodiques, illustrent l’hommage à la Vierge Marie. Le Codex du monastère médiéval espagnol de Las Huelgas, datant probablement de 1300 prolonge cette atmosphère éthérée. Deux pièces liturgiques, Alma Redemptoris Mater et Super Flumina Babilonis, de Tomas Luis de Victoria (1548-1611) témoignent d’un raffinement et d’une prodigieuse richesse d’écriture.
Vient alors la première des commandes de l’ensemble Les éléments, celle de la pièce intitulée Cielo Arterial, écrite sur un texte de Catherine Peillon par le compositeur espagnol Iván Solano (né en 1973). Si le langage musical appartient indéniablement à notre temps, l’esprit n’opère aucune rupture absolue avec ce qui précède. Si les sons glissando marquent notre époque, l’auditeur découvre ici une surprenante inclusion lyrique et comme une citation musicale que ne renierait pas Tomas Luis de Victoria. Deux voix solistes se détachent de l’ensemble, celle de la soprano Julia Wischniewski, toujours aussi idéalement timbrée sur un incroyable ambitus, et le solide et beau timbre de basse de Christophe Sam. Après un retour vers Tomas Luis de Victoria, le Chœur entonne quelques chansons vivifiantes de Francisco Guerrero (1528-1599), regroupées sous le titre Canciones y villanescas espirituales, dont le style n’est pas très éloigné de celui de son contemporain français Clément Janequin.
Le motet Audivi Vocem De Caelo, du Portugais Duarte Lôbo (1565-1646), distille une pureté vocale comme transparente.
La seconde commande de ce programme, Lumine Clarescet, composée sur un texte latin extrait des Prophéties de la Sybille de Cumes, du Portugais António Chagas Rosas, né en 1960 s’enchaîne harmonieusement. Préalablement mises en musique par Roland de Lassus, les quatre strophes de ce texte inspirent au compositeur d’aujourd’hui une polyphonie proche d’une écriture symphonique d’une grande beauté.
Le voyage s’achève sur une belle pièce de Manuel Cardoso (1566-1650). Lamentatio, pour la seconde leçon des matines du Jeudi-Saint, soutient le texte et lui confère une émotion d’une touchante profondeur.
La cohabitation entre musiques ibériques d’hier et d’aujourd’hui brosse ainsi un portrait d’une indéniable cohérence que magnifie l’interprétation touchante du chœur de chambre, dirigé avec précision, souplesse et chaleur expressive par Joël Suhubiette.