A vrai dire, pour qui suit la carrière de cet artiste aujourd’hui au faîte de ses moyens vocaux, ce premier récital n’est pas tout à fait une surprise.
Par contre ce disque va permettre au plus grand nombre de connaître un chanteur d’une classe artistique disparue depuis longtemps : le ténor absolu.
Pur produit de cette magnifique capitale musicale qu’est Munich, où il naquit il y a 39 ans et où il étudia d’abord les mathématiques avant de se laisser happer par le chant, Jonas Kaufmann eût la chance de travailler avec les plus grands : James King, Hans Hotter et Joseph Metternich.
Si son idole s’appelle Fritz Wunderlich, cela ne l’empêche pas d’apprécier aussi des timbres plus latins. Mais ce qui le guide depuis toujours, c’est une véritable aversion pour tout ce qui est « classification » des voix en fonction du ou des compositeurs qu’elles peuvent interpréter. Aussi trouve-t-on au répertoire de Jonas Kaufmann, d’ores et déjà, des musiciens comme Puccini, Bizet, Verdi, Mozart, Berlioz, Gounod, Beethoven, Wagner, Weber, Massenet et même Busoni ! Sans parler du répertoire de mélodies.
DECCA nous offre son premier récital, intitulé Romantic arias.
Le programme est énorme, 13 tubes de l’art lyrique, treize occasions aussi de s’exposer aux souvenirs les plus dangereux…
A la fin de ces 67 minutes venues d’ailleurs, on reste ébahi, stupéfait, et malgré tout étonné. Se succèdent des œuvres que Jonas Kaufmann a déjà interprétées ou qui le seront dans un proche avenir : Bohème (Puccini), Carmen, Martha, Tosca, Don Carlos, Der Freischütz, La Traviata, Manon, Rigoletto, Faust (Gounod), Die Meistersinger, La Damnation de Faust et Werther.
Somptueusement accompagné par Marco Armiliato à la tête du Prague Philharmonic Orchestra, Jonas Kaufmann nous livre ici la quintessence de son art actuel. Et c’est en vain que le critique recherchera les fautes. Aucun problème d’accent ni de style, tout semble couler de source chez ce chanteur littéralement inspiré. Quant à la voix, disons pour faire simple qu’elle est l’instrument parfait d’une intelligence lyrique portée à l’incandescence. Amateurs de bel canto synonyme de son flatteur, passez votre chemin. Ce que nous offre Jonas Kaufmann est une toute autre approche de l’interprétation. D’abord c’est un respect scrupuleux des intentions du compositeur (pourquoi pas !), ensuite c’est un engagement vocal et dramatique total. Expert en colorations sublimes, en dynamiques vertigineuses, il EST avec autant de vérité que de puissance le Faust cosmique de l’invocation à la nature, le des Grieux perdu appelant Dieu à son secours à Saint Sulpice, le révolutionnaire faisant ses adieux à la vie du haut du Château Saint Ange, le jeune soldat sous la domination sulfureuse d’une troublante cigarière, etc. A tous les héros de cet enregistrement, Jonas Kaufmann accorde une attention et une profondeur telles qu’il réussit l’exploit de nous les faire entendre pour la première fois. Il met à leur service un timbre solaire insolent d’éclat, une musicalité et une technique incroyables de précision et de finesse, la projection est superbe, l’ambitus est aussi homogène que profond. Un bonheur et une émotion de tous les instants.
Il est évident qu’un nouveau paradigme est né.