Le pianiste Alexandre Tharaud mène sa carrière avec intelligence et sensibilité. Sans éclat superfétatoire, il visite les contrées musicales qui l’inspirent et nourrissent son parcours d’artiste. Il n’hésite pas à franchir allègrement les siècles, ni à composer lui-même des parcours très personnels. Après les révélations du rivage Rameau, puis du domaine Ravel, il a mené avec Chopin un passionnant itinéraire en forme de confidence. Le voici confronté à l’empire Domenico Scarlatti.
C’est auprès de l’infante Maria Barbara du Portugal, devenue en 1729 l’épouse de l’héritier du trône d’Espagne, Ferdinand VI, que ce digne fils d’Alessandro passe la seconde partie de son existence à la cour madrilène des rois mélancoliques que furent Philippe V et Ferdinand VI. Il s’y consacre à la composition de ces incroyables sonates pour le clavier (à l’époque le clavecin bien sûr), destinées à distraire les souverains et leurs proches. A l’écoute de ces bijoux d’une extraordinaire invention, on ne peut croire que le seul but de leur existence fut de bercer les insomnies de ces seigneuries.
Quoiqu’il en soit, Scarlatti n’en composa pas moins de cinq cent cinquante ! Les humeurs qui s’y manifestent vont de la plus folle des gaités à la nostalgie la plus profonde.
Alexandre Tharaud a choisi d’extraire de cet immense corpus dix-huit sonates représentatives de la variété expressive de l’ensemble. Comme à son habitude, il élabore ainsi un itinéraire cohérent, imaginatif, d’une fantaisie extraordinaire. Son toucher léger, alerte, raffiné, ne fait pas regretter le clavecin original. Grâce, tristesse profonde, humour, s’enchaînent dans un même flot de musique. L’alternance des passions extrêmes construit un parcours qui pourrait être celui d’une seule et même partition. L’influence espagnole y est discrètement soulignée, comme dans la sonate K 239 qui ouvre le programme. L’émotion affleure comme dans l’Adagio è cantabile de la K 208 ou l’Andante è cantabile de la K 481, habités de l’extrême sensibilité de l’interprète. On sourit à la joie débridée de la K 514 ou à la malice de la K 3. Du bonheur à l’état pur ! En outre, Alexandre Tharaud a eu la délicatesse et la ferveur de dédier cette parution à la mémoire de la grande Clara Haskil. Une référence qui parle d’elle-même.