L’an passé a marqué le centenaire de la naissance de Ferenc Fricsay (1914-1963). A cette occasion, sa maison de disque, DGG, a publié un volumineux coffret de 47 CDs intégrant l’ensemble des enregistrements symphoniques dirigés par le chef hongrois sous son label. C’est le tour à présent de l’opéra. Et qui s’en plaindrait !
Regroupant les captations, studio et direct, réalisées entre 1949 (Die Fledermaus, de Johann Strauss II) et 1961 (récital d’airs d’opéras par Dietrich Fischer-Dieskau), la présente compilation nous propose le versant lyrique du génie hongrois. Elève de Béla Bartók et Zoltan Kodaly, camarade de promotion de Georg Solti, Ferenc Fricsay lègue à la postérité, grâce au microsillon, le témoignage unique d’une flexibilité stylistique inégalée. Il n’est que d’écouter le récital de l’immense baryton allemand cité plus haut, récital en langue originale faut-il préciser, au programme duquel alternent Bizet, Gounod, Rossini, Verdi, Giordano et Leoncavallo pour avoir un aperçu de son talent dans l’acuité à trouver les climats sonores propres à chacun de ces compositeurs.
Ce coffret nous offre bien sûr d’autres merveilles. Comme il est hors de question de les énumérer, soulignons simplement les moments sublimes qui habitent Le Château de Barbe Bleue ou encore l’Orphée de Gluck qui, même chanté en allemand, demeure, par l’infinie délicatesse de sa direction, une référence depuis un demi-siècle. Et puis il y a les Mozart, ici L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée, Don Giovanni, Idomeneo et Les Noces de Figaro ainsi que la Grande Messe en Ut et le Requiem. Sans mésestimer, loin s’en faut, les autres témoignages, c’est bien dans les œuvres du Divin Génie que bat le cœur de ce coffret.
Ferenc Fricsay avait ce don unique de conjuguer avec une maîtrise et un à propos parfait le délicat équilibre des composantes dramatiques d’une partition et d’une dramaturgie. Ecoutez aussi son Vaisseau fantôme, sans pathos superfétatoire, il entoure cette légende nordique d’une lumière surnaturelle. Bien d’autres merveilles vous attendent dans ce somptueux coffret, un coffret qui est également le reflet d’un trait de caractère bien connu de ce chef : la fidélité. En effet, nombre des interprétations sont assurées par un cartel de chanteurs qui l’ont accompagné tout au long de sa courte carrière : Herta Töpper, Dietrich Fischer-Dieskau, Ernst Haefliger, Maria Stader, Rita Streich, Josef Greindl, Josef Metternich. D’autres, bien sûr, se sont joints à ce gotha aujourd’hui légendaire. Un dernier mot pour parler de son orchestre, celui du RIAS Symphonie Orchester Berlin, traduisez Orchestre de la Radio du secteur américain de Berlin, une formation née après la guerre, en 1946, et dont Ferenc Fricsay devient le directeur en 1949 pour de nombreuses années, une phalange merveilleuse de sonorités, de couleurs, de souplesse, de dynamiques. Cette formation existe toujours, sous un autre nom, l’Orchestre symphonique allemand de Berlin (DSO), à la tête de laquelle se trouve depuis 2012 le chef ossète Tugan Sokhiev.
En bonus, un DVD nous montre les répétitions et les représentations de L’apprenti sorcier de Paul Dukas et de la Hary János Suite de Zoltan Kodaly enregistrées à Berlin, dirigées bien sûr par Ferenc Fricsay, quelques mois avant sa disparition.
Vous l’aurez déjà compris, ce coffret est magnifique de bout en bout. Même si l’allemand fait parfois des incursions bizarres à nos oreilles actuelles, mais dans les années 50 du siècle dernier il en était souvent ainsi, la qualité des interprètes et la somptuosité du tissu orchestral suffisent largement à balayer ce handicap « historique ».