Jan Vogler, un passeur intra-culturel
Le grand violoncelliste allemand Jan Vogler est un amoureux des grands écarts culturels. Lui qui passe facilement de Bach à Jimi Hendrix ne pouvait imaginer ce Songbook en dehors d’une vision mondiale de la musique. Il s’est associé avec le guitariste finnois Ismo Eskelinen pour ce périple qui nous amène de l’Italie à l’Allemagne, en passant par la France, le Brésil, les Etats Unis et l’Espagne. Il va jalonner ces chemins de traverse par des compositions originales pour cet improbable duo unissant la guitare au violoncelle.
Cordes pincées vs cordes frottées, un véritable duo/duel amoureux. Improbable n’est d’ailleurs pas le terme le plus exact car le programme de cet enregistrement contient des œuvres originellement composées pour ces deux instruments.
Il en est ainsi des Trois Nocturnes du compositeur romantique allemand Friedrich Burgmüller (1806-1874), un musicien qui s’illustra aussi dans le ballet en écrivant La Péri, créé en 1843 avec rien moins que Carlotta Grisi et Lucien Petipa, en écrivant aussi la musique du Pas de Deux des Jeunes Paysans dans la Giselle d’Adolphe Adam. Autre composition originelle, celle du compositeur contemporain brésilien Radames Gnattali (1906-1988) : Sonate pour guitare et violoncelle dont seul le premier mouvement nous parvient ici.
Tous les autres opus de cet enregistrement sont des arrangements.
C’est parmi eux que l’on trouve les œuvres les plus célèbres. Le bal s’ouvre avec la première mondiale pour ces deux instruments du Cantabile MS 109/op. 17 de Niccolo Paganini, compositeur et musicien virtuose s’il en fut. Le plus célèbre des compositeurs brésiliens ne pouvait être absent d’un tel programme, voici donc Heitor Villa-Lobos (1887-1959) et son œuvre signature, chantée, jouée sur tous les tons depuis sa création en 1938, la Cinquième des Bachianas Brasileiras.
Son contemporain argentin Astor Piazzolla (1921-1992) se devait d’être de la partie avec son Histoire du Tango, originellement pour flûte et guitare, créée en 1986. L’un de ses mouvements, Bordel 1900, fait ici l’objet également d’une première mondiale dans cet arrangement. Il en est de même pour la célébrissime Moon River qui valut à son compositeur, l’Américain Henry Mancini (1924-1994), l’Oscar de la Meilleure chanson originale dans Diamants sur canapé de Blake Edwards (1961).
Il était naturel que l’Espagnol Manuel de Falla (1876-1946) s’impose dans un pareil panorama. Son cycle de mélodies : Siete canciones populares espanolas créé en 1915, est assurément son œuvre la plus « arrangée ». A l’exception de Seguidilla murciana, les voici chantées par le violoncelle et rythmées par la guitare. Et les Français me direz-vous ? Maurice Ravel (1875-1937) et Erik Satie (1866-1925) ferment le ban. Le premier cité avec sa Pièce en forme de habanera M 51 et le second avec sa Gymnopédie N°1. Quoi de mieux pour clore un enregistrement qui s’écoute avec beaucoup de plaisir, qui se fredonne assurément tant les mélodies sont pour la plupart connues (Songbook !), un enregistrement tout récent (mars 2019) qui mixe les genres, porté à l’incandescence par le talent, l’énergie, l’extrême musicalité et la complicité de deux musiciens d’exception.