C’est en effet le 22 mai 1813 que naît à Leipzig celui qui va devenir l’un des géants de l’histoire de l’art lyrique : Richard Wagner. Ce génial compositeur va porter le style « drame musical » à son apogée en l’espace de 70 ans et quelques treize opéras. Bien sûr entre Les Fées qu’il va composer à l’âge de vingt ans, entre 1833 et 1834, et qu’il ne verra jamais représenté, et son ouvrage ultime, Parsifal, créé à Bayreuth en 1882, il y a un monde dans lequel les légendes nordiques occupent la première place. Le fil conducteur de l’inspiration littéraire du compositeur est bien dans ces aventures où se mêlent dieux, héros, personnages légendaires, mythiques ou mystiques. Mis à part Rienzi et Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, le substrat dans lequel l’imaginaire de Richard Wagner va puiser pour les livrets qu’il écrit lui-même est bien là.
Tout chanteur en ayant les moyens (et encore…), tout metteur en scène, tout chef d’orchestre a souhaité une fois (voire beaucoup plus) s’immerger dans cet univers à nul autre pareil. Depuis les débuts de l’enregistrement sonore, des témoignages nous parviennent avec plus ou moins de fidélité, certes, mais chargés d’émotion. Ce ne sont pas eux, bien sûr, qui ont été choisis par ces deux majors de l’industrie du disque que sont Universal et EMI pour célébrer le bicentenaire de la naissance de ce titan, mais des productions live ou studio plus récentes qui ont inscrit dans le marbre de leurs sillons les talents d’artistes de premier plan.
A l’exception de Rienzi, dont les deux généreux coffrets sous rubrique offrent la même interprétation, tous les autres enregistrements nous donnent à entendre des versions différentes de l’intégrale lyrique wagnérienne. A vrai dire, le coffret Universal contient les deux essais de jeunesse du compositeur : Les Fées et La Défense d’aimer qui, elle, sera créée en 1836. Ils sont dirigés par Sir Edward Downes à la tête ici du BBC Northern Symphony Orchestra et d’une pléiade de chanteurs pour la plupart britanniques. EMI a décidé de faire l’impasse sur ces deux œuvres, ce qui n’entache en rien l’intérêt de son coffret.
RIENZI
Un seul enregistrement pour ces deux coffrets, celui dirigé par Heinrich Hollreiser entre 1974 et 1976 avec la Staatskapelle de Dresde. René Kollo chante le rôle-titre avec une autorité qui ne faiblit pas au cours de ces 5 actes. Excellemment entouré de Siv Wennberg (Irene) et Janis Martin (Adriano), entre autres, le ténor allemand signe ici la version de référence, pour l’instant, de cet opéra.
LE VAISSEAU FANTÔME
Deux versions s’affrontent ici. EMI ne propose en 1968 rien moins qu’Otto Klemperer, le New Philharmonia Orchestra, Theo Adam, Anja Silja et Martti Talvela. Un enregistrement de légende digne des grandes heures de Bayreuth ! Universal nous amène au Deutsche Oper Berlin en 1991 et nous propose une distribution plus « people » sous la direction de Giuseppe Sinopoli. Hans Sotin (Daland) et Bernd Weikl (Le Hollandais) se trouve face à Cheryl Studer (Senta) et Plàcido Domingo (Erik). En studio, c’est très beau.
TANNHÄUSER
Pour EMI, Bernard Haitink dirige en 1985 la Radiodiffusion bavaroise avec un ténor allemand, Klaus König, qui ne fit pas une carrière de premier plan mais qui se révèle alors un Tannhäuser de grande classe. Etrangère à ce répertoire, Lucia Popp lui donne pourtant une lumineuse réplique. La suite de la distribution est du domaine du luxe : Bernd Weikl (Wolfram), Waltraud Meier (Vénus), Kurt Moll (Hermann). En 1988, Universal immortalise le minnesänger de Plàcido Domingo, au côté de l’Elisabeth de Cheryl Studer. Matti Salminen (Hermann), Agnes Baltsa (Vénus) et Andreas Schmidt (Wolfram) complètent les premiers rôles d’une distribution dirigée, ici encore, par Giuseppe Sinopoli à la tête du Philharmonia Orchestra.
LOHENGRIN
EMI se fend ici de ce que beaucoup considèrent comme la version de référence. Rudolf Kempe dirige les plus hautes phalanges viennoises en 1963. Face aux micros : Jess Thomas, Elisabeth Grümmer, Christa Ludwig, Dietrich Fischer-Dieskau et Gottlob Frik. Inutile de nommer leur rôle car leur interprétation à chacun est depuis longtemps historique. Nous restons à Vienne et ses somptueuses phalanges, en 1986, Universal les confie à la baguette foudroyante de Sir Georg Solti. Un couple de stars se partage le duo royal : Plàcido Domingo et Jessye Norman, alors que Hans Sotin, Siegmund Nimsgern et Eva Randova sont respectivement : Henri, Telramund et Ortrud.
DER RING DES NIBELUNGEN
Que ce soit Wolfgang Sawallisch et l’Opéra de Bavière en 1989 pour EMI, ou James Levine et le MET de New York en 1987/88 et 89 pour Universal, impossible de choisir à partir du rôle-phare de cette gigantesque saga lyrique puisque les deux maisons ont convoqué la grande Brünnhilde de cette époque : Hildegard Behrens. Le choix est davantage possible avec Wotan puisque James Morris (Universal) domine tout de même Robert Hale (EMI). Côté ténor héroïque, il est permis de préférer le Siegmund de Gary Lakes (Universal) à celui de Robert Schunk (EMI). Difficile par contre de départager les deux Sieglinde : Julia Varady (EMI) et Jessye Norman (Unversal). On pourra aisément par contre préférer le Siegfried de René Kollo (EMI) à celui de Reiner Goldberg (Universal). Inutile dans le cadre du présent article de continuer ce parallèle avec tous les autres rôles de cette Tétralogie, d’autant qu’ils sont, de part et d’autre, somptueusement tenus.
TRISTAN UND ISOLDE
Cette fois, il est question ici d’un coup de cœur pour le rédacteur de ces quelques lignes.
Coup de cœur car pour moi il est impossible d’aligner le Tristan enregistré au Covent Garden de Londres en 2005 par Antonio Pappano pour EMI et ce moment de magie pure, cet instant de grâce qu’est le Tristan enregistré à Dresde en 1982 sous la direction de Carlos Kleiber pour Universal. Dans la capitale britannique sont réunis, autour du Tristan de studio de Plàcido Domingo, la diva wagnérienne de l’époque, Nina Stemme, le très beau Marke de René Pape, le Kürwenal d’Olaf Bär et la Brangaene de Mihoko Fujimura.
A Dresde, toujours en studio, certes, mais avec un autre concept artistique en matière de casting : René Kollo, Margaret Price, Kurt Moll, Dietrich Fischer-Dieskau et Brigitte Fassbaender. Pour le dire simplement : il n’y a pas photo !
DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG
Le choix est ici cornélien. Comment préférer Herbert von Karajan, les forces de Dresde et le Sachs anthologique de Theo Adam en 1970, pour EMI, à Eugen Jochum, les phalanges de l’Opéra de Berlin et le légendaire Sachs de Dietrich Fischer-Dieskau en 1976 pour Universal. Mission impossible ! Si l’on creuse la distribution, cela se complique car les Walther sont magnifiques. EMI capte le plus beau rôle wagnérien de René Kollo alors qu’Universal fait de même avec Plàcido Domingo. Certes il sera facile de préférer l’Eva d’Helen Donath (EMI) à celle de Catarina Ligendza (Universal), mais la suite des distributions est de tous bords magnifique.
PARSIFAL
Comment mettre face à face la proposition d’EMI, dirigée en 1984 par Reginald Goodall à la tête des phalanges du Welsh National Opera, réunissant un cast pas forcément de premier choix, malgré le Gurnemanz de Donald McIntyre et la Kundry d’une toute jeune Waltraud Meier, et celle d’Universal en 1972 avec le top des phalanges viennoises et une distribution à tomber par terre, dirigée par Sir Georg Solti, distribution au sein de laquelle nous croisons Dietrich Fischer-Dieskau (Amfortas), Hans Hotter (Titurel), Gottlob Frick (Gurnemanz), René Kollo (Parsifal), Zoltàn Kelemen (Klingsor) et Christa Ludwig (Kundry) ! Excusez du peu.
Voilà, le tour de piste est terminé et la conclusion est… impossible. Les ayatollahs de l’intégrale, ceux qui veulent tout avoir se tourneront vers Universal, malgré le peu d’intérêt musical des brouillons de jeunesse. Il en sera de même pour les inconditionnels de Plàcido Domingo. J’ai bien dit « les inconditionnels »… Comment ignorer cependant que les deux firmes ont inclus dans leur coffret de vrais diamants totalement incontournables. L’idéal, vous l’avez bien compris, serait de mélanger les deux. Comme cela est infaisable et que même le prix est tout sauf dissuasif (1,61 le CD pour EMI vs 2,10 le CD pour Universal), il ne vous reste plus qu’à être persuadé que votre choix est le meilleur. Quoi qu’il en soit, ce sera vrai !