Décédé le 22 mai 2013 à l’âge respectable de 97 ans, Henri Dutilleux occupe une place de tout premier plan dans la création musicale française du XXème siècle. Cet héritier de Debussy s’est toujours situé en marge des écoles et des chapelles. Il est significatif qu’il ait reçu le Prix Ernst von Siemens en 2005 (à l’âge de 89 ans). Considéré comme le « Nobel de la musique », cette récompense prestigieuse a salué « un des grands artistes de la musique française contemporaine » dont la production « organique » se distingue par sa « clarté poétique ». Significativement, Henri Dutilleux est le troisième compositeur français (après Olivier Messiaen et Pierre Boulez) a être honoré par ce prix.
Le présent enregistrement de l’Orchestre de Paris, dirigé par son actuel responsable musical Paavo Järvi, réunit deux de ses œuvres symphoniques les plus significatives (Symphonie n° 1 et Métaboles) et l’une de ses grandes pièces de musique concertante Sur le même accord écrite pour violon et orchestre. Si la production de Dutilleux n’est pas très abondante, la qualité musicale et l’exigence poétique dont elle témoigne ont peu d’équivalent. Comme le démontre l’écoute de ce bel album, le compositeur écrit à la manière d’un peintre sur sa toile. Le tissu orchestral qu’il imagine présente toujours un stupéfiant déploiement de couleurs.
Sa Symphonie n° 1, en quatre mouvements certes mais d’une grande originalité d’écriture par rapport à la symphonie classique ou romantique, a été créée en 1951 sur les ondes de la Radiodiffusion française par l’Orchestre National de l’époque. Inspirée de Prokofiev, suivant l’aveu même du compositeur, elle développe une trame orchestrale d’une richesse étonnante. Elle naît du silence et s’y plonge à nouveau dans sa conclusion. Toutes les couleurs de l’Orchestre de Paris éclaboussent cette fresque de lumière.
Le Scherzo – Molto vivace, en particulier, témoigne d’une maîtrise absolue de son chef Paavo Järvi.
Métaboles, l’une de ses partitions phares, a été créée en 1965 par l’Orchestre de Cleveland, dirigé par George Szell, à l’occasion du 40ème anniversaire de la prestigieuse formation symphonique américaine. Le titre, quelque peu étrange a priori, évoque les transformations subies par le corps d’un insecte. Dutilleux le justifie de la manière suivante : « J’ai voulu présenter une ou plusieurs idées dans un ordre et sous des aspects différents, jusqu’à leur faire subir, par étapes successives, un véritable changement de nature… » Ici encore, la rutilance orchestrale émerveille. Les titres qui affectent les cinq parties de l’œuvre traduisent bien son caractère subtilement « impressionniste » : Incantatoire – Linéaire – Obsessionnel – Torpide – Flamboyant évoquent une succession d’atmosphères aussi diverses que profondément liées par la transparence de l’écriture.
La pièce concertante, Sur le même accord, qui complète cette parution s’avère plus rarement jouée au concert. La violoniste Anne-Sophie Mutter, dédicataire de l’œuvre qu’elle avait sollicitée, a dû attendre plus de quinze ans son achèvement. Créée en 2002 par elle et le London Philharmonic Orchestra dirigé par Kurt Masur, cette pièce se distingue de l’autre partition pour violon, le Concerto intitulé L’arbre des songes, par sa brièveté et son unité en un seul mouvement. Le violon solo génère le motif qui se répartit ensuite suivant les différents pupitres de l’orchestre. Le grand violoniste allemand Christian Tetzlaff endosse avec poésie le rôle principal de ce que Dutilleux lui-même qualifie de « Nocturne pour violon et orchestre ». Contrastes expressifs, fluidité des thèmes, le soliste soutient avec conviction la ligne sinueuse mais intense de cette partition ciselée.
Voici une grande parution digne de la place que doit occuper Henri Dutilleux parmi les créateurs de beauté du XXème siècle.