Disques

Happy Birthday, dear Menahem !

En décembre 2013, en marge d’un concert donné à la Halle aux Grains de Toulouse, le légendaire Menahem Pressler nous avait accordé un entretien aussi simple que chaleureux au cours duquel il évoquait les multiples manifestations musicales organisées pour célébrer son quatre-vingt-dixième anniversaire. La parution de ce double album Erato est le reflet de l’une de ces manifestations. Le 7 novembre 2013, à la salle Pleyel de Paris, elle réunissait, autour du pianiste, les membres du jeune Quatuor Ebène, le contrebassiste Benjamin Berlioz et le ténor Christoph Prégardien. Un CD et un DVD réunis dans cet album rendent ainsi compte de cette soirée mémorable.
L’événement devait absolument laisser une trace. Le DVD reprend l’intégrale de ce généreux concert de presque deux heures, le CD se limite à l’enregistrement des deux pièces de musique de chambre au cours desquelles le jeune nonagénaire s’associe aux membres du Quatuor Ebène. Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure, violons, Mathieu Herzog, alto et Raphaël Merlin, violoncelle, entourent Menahem Pressler de leur admiration et de leur ferveur musicale. La somme de leur âge respectif dépasse à peine celui du prestigieux pianiste !

Leur entente fusionnelle s’épanouit d’abord dans le Quintette pour piano et cordes en la majeur d’Antonin Dvorak. L’ardeur incroyable déployée par les musiciens dans l’Allegro, ma non tanto initial est telle que le public ne peut s’empêcher d’applaudir prématurément. L’écoute mutuelle, les regards échangés aboutissent à un bel équilibre sonore et à une cohésion parfaite aussi bien rythmique qu’expressive. Les motifs parcourent tous les registres dans une continuité admirable. Le toucher à la fois doux et ferme du pianiste se marie à merveille avec les riches sonorités des cordes.

En particulier, la Dumka, sommet expressif de toute l’œuvre, prend un relief étonnant, alternant mélancolie et vivacité.

Rejoints par le contrebassiste Benjamin Berlioz, les mêmes musiciens épanouissent leur jeu dans le fameux Quintette en la majeur « La Truite » de Franz Schubert. Le jeu se veut légitimement souriant et léger. Là encore les échanges évoquent une discussion permanente, entretenue par les modulations si personnelles du compositeur. L’Andantino à variations, sur le célèbre thème du lied, coule comme le ruisseau qu’il entend évoquer. Le bonheur de jouer se lit sur les visages tout autant que dans l’interprétation.

Entre les deux quintettes, le grand ténor Christoph Prégardien se laisse accompagner avec douceur par Menahem Pressler dans quatre lieder extraits du Winterreise de Schubert. Beauté et souplesse vocales, parfaite diction, intense pouvoir expressif, se mêlent au piano subtil et soutenu de Menahem Pressler. Der Lindenbaum, Frühlingstraum, Die Krähe et surtout l’ultime et tragique Der Leiermann donnent le frisson. Die Forelle, (La Truite) vient tisser un lien plus léger avec le quintette qui suit.

Deux extras viennent compléter ce panorama. Tout d’abord, les musiciens du Quatuor Ebène offrent à leur aîné une émouvante version de l’Andantino du quatuor en sol mineur de Claude Debussy. Un hommage à celui qui débuta sa carrière en remportant, en 1946, le Concours International Debussy de San Francisco. Puis c’est au pianiste à remercier le public et ses « amis musiciens » avec le Nocturne en ut dièse mineur de Chopin. Tout le public entonne enfin un « Happy Birthday » bien en situation.

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