Voici le troisième enfant né de la formidable coopération qui s’est établie entre l’Orchestre national du Capitole et son jeune directeur musical Tugan Sokhiev. Ce nouvel album confirme la grande qualité, la réconfortante ferveur de cette association. C’est dans le répertoire russe que l’orchestre et son chef excellent une fois de plus.
De Rachmaninoff sont gravées ici les fameuses Danses Symphoniques et de Prokofiev, le concerto n° 2 pour violon et orchestre.
Pour avoir été plusieurs fois programmée par Tugan Sokhiev, l’ultime œuvre symphonique de Sergey Rachmaninoff fait maintenant partie du répertoire de la phalange toulousaine qui la joue en concert depuis plusieurs années. Ecrite en 1940 à l’intention du chef américain Eugene Ormandy et de l’Orchestre de Philadelphie, cette partition rutilante mais tournée comme avec ferveur vers la mort, témoigne du talent exceptionnel d’orchestrateur de Rachmaninoff, mais aussi du pessimisme de sa fin de vie.
Une énergie constante sous-tend cette interprétation. Subtilité, équilibre, noblesse caractérisent l’exécution de ces Danses Symphoniques. Tugan Sokhiev, particulièrement à l’aise dans ce répertoire qui semble couler dans ses veines, obtient de son orchestre des couleurs d’une étonnante richesse. Chaque nuance résonne avec la vérité et la conviction de l’authenticité. La difficulté, pourtant réelle, de l’œuvre disparaît derrière la grande beauté de cette interprétation. La musique semble naître avec un naturel absolu qui devient celui de chaque musicien de l’orchestre. Le Dies Irae final donne le frisson.
Pour le second concerto pour violon et orchestre de Prokofiev, Tugan Sokhiev a confié la partie soliste au premier violon, super-soliste, de l’Orchestre du Capitole, Geneviève Laurenceau. On connaît les qualités aussi bien techniques que musicales de cette belle artiste. Son récent enregistrement des sonates violon piano de Brahms avec Johan Farjot a connu un succès particulièrement justifié de la part du public comme de la critique. Elle s’implique ici au service d’une œuvre riche et profonde dans laquelle son jeu fait merveille. Avec autorité, elle s’empare de cette splendide partition pour la mener de sa nostalgique introduction à son terme éblouissant d’un archet souverain. Sonorités généreuses et habilement différenciées (la première phrase est à cet égard emblématique), précision diabolique de chaque trait, son jeu épouse avec une étonnante acuité les multiples changements d’humeur qui caractérisent l’œuvre : de la plus fragile des sensibilités à l’âpre et rugueuse ironie. Une profonde émotion émane du chant élégiaque de l’Andante assai. Le final hallucinant, comme une danse sur un volcan, donne le vertige. L’orchestre, dirigé avec une fascinante souplesse dans la rigueur, souligne sans excès chaque nuance, lyrique ou implacable, avec cette souveraine exactitude d’un rythme inextinguible qui irrigue toute l’œuvre. Une grande réussite !