Disques

Entre Prokofiev et Chostakovitch

Victime des événements tragiques liés à la seconde guerre mondiale, le compositeur Mieczysław Weinberg souffre encore de nos jours d’une méconnaissance profonde de la part du grand public. Né en 1919 à Varsovie, il a eu du mal à trouver l’audience que mérite sa musique. Ses œuvres sortent peu à peu du purgatoire où l’histoire les a bloquées. Même si un certain nombre de ses œuvres ont déjà été enregistrées, cet album CD de la Philharmonie de Varsovie contribue à renforcer sa légitimité.

Persécuté dans son propre pays, il trouva en 1939 un refuge précaire en URSS qui lui accorda la citoyenneté soviétique. Il dut fuir encore plus à l’est en 1941 devant l’armée nazie, mais également du fait des tracasseries de son pays d’adoption. La raison de cette fuite permanente fut toujours la même : il était juif. Il reçut néanmoins l’aide de quelques compositeurs et musiciens russes, dont Dimitri Chostakovitch et David Oïstrakh. Il n’échappa à l’arrestation par la police soviétique que « grâce » à la mort de Staline, en 1953.

Sa carrière de pianiste, interrompue par l’invasion allemande de la Pologne, l’incita à se consacrer à la composition. Sa musique fut jouée à Moscou, notamment sous la direction du grand Kirill Kondrachine. Vingt-deux symphonies, neuf concertos, sept cantates, soixante-dix pièces de musique de chambre, près de trente cycles de mélodies et quatre opéras constituent un patrimoine musical qui mérite largement la notoriété. La qualité de ses compositions le situe en bonne place entre Prokofiev et Chostakovitch.

La nouvelle parution Warner Classics, sous le label de l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, rassemble sa quatrième symphonie en la mineur et son concerto pour violon en sol mineur, tous deux composés entre 1957 et 1959. Les premières mesures de la symphonie dévoilent immédiatement une parenté avec Prokofiev. La prédominance du rythme s’impose naturellement. Elle s’accompagne néanmoins d’un raffinement harmonique et d’un lyrisme chaleureux. La mélancolie inquiète du deuxième mouvement débouche sur le deuil qui imprègne toute la troisième partie : comme une évocation de la disparition tragique des parents et de la sœur du compositeur dans le sinistre camp de concentration de Trawniki. Le final déchaîne une sorte de danse infernale à la Chostakovitch : une joie apparente comme pour cacher un profond désespoir.

Dédié au grand Leonid Kogan, le concerto pour violon et orchestre impose lui aussi un rythme non exempt de ce « motorisme » qui caractérise l’écriture de Prokofiev. Une extrême virtuosité du soliste est requise dès les premières mesures de la partition. Elle se déploie avec vigueur dans le final. Un lyrisme touchant, souvent imprégné d’une profonde nostalgie, parcourt toute l’œuvre. La beauté inventive des thèmes nourrit les échanges entre le soliste et l’orchestre. Le jeune violoniste russe Ilya Gringolts intègre à son jeu, techniquement impeccable, un poids expressif d’une profonde beauté.

La Philharmonie de Varsovie admirablement dirigée par le Polonais Jacek Kaspszyk, parle ici sa langue maternelle. Fondée en 1901, elle confirme si besoin était la qualité extrême de ses prestations.

Cette magnifique parution, hors des sentiers battus, réhabilite un compositeur qui mérite une place d’honneur parmi les grands créateurs du XXème siècle, et pas seulement russes.

Rappelons que le Concerto n° 1 pour flûte et orchestre de Mieczysław Weinberg avait été brillamment joué le 3 novembre 2012 à la Halle aux Grains de Toulouse par Sandrine Tilly et l’Orchestre National du Capitole sous la direction de Tugan Sokhiev.

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