Disques

Duo de légende

Les collaborations musicales qui se nouent entre artistes révèlent rarement une communion aussi inspirée que celle qui réunit la stupéfiante pianiste argentine Martha Argerich et le génial chef d’orchestre italien Claudio Abbado, récemment disparu. Les rencontres discographiques de ces deux musiciens d’exception ne sont pas si nombreuses. Etalées sur une longue période de plus de quarante-cinq ans, elles figurent intégralement sur les 5 CDs de ce coffret sous la forme des pochettes originales publiées par la Deutsche Grammophon.

Martha et Claudio se sont connus à Vienne à la fin des années 1950 alors qu’ils étudiaient le piano auprès de Friedrich Gulda. Leur première collaboration discographique a révélé dès 1967, le caractère foisonnant de leurs talents respectifs. Le troisième Concerto de Prokofiev et le Concerto en sol de Ravel ont immédiatement propulsé les deux artistes au firmament de l’interprétation de ces chefs-d’œuvre. Le lyrisme de Prokofiev en même temps que sa folie rythmique trouvent encore aujourd’hui dans cette communion le ferment d’une ardeur et d’une énergie jamais égalées.

Sous la direction du chef italien, le Berliner Philharmoniker entre en ébullition, alors que le jeu de la pianiste déploie une prodigieuse palette de couleurs et de contrastes. La poésie du concerto de Ravel fait résonner d’autres cordes sensibles des deux interprètes.

L’année suivante, avec le London Symphony Orchestra, les deux compères enregistrent deux des grands concertos romantiques, les premiers numéros signés Liszt et Chopin. On a rarement entendu un soin aussi vigilent apporté à la partie orchestrale de ces deux œuvres. Quant au piano, il déploie, sous les doigts d’acier d’Argerich, capables d’impalpables douceurs, un charme volontaire unique.

Il faudra attendre seize années pour retrouver les deux artistes dans une nouvelle version, peut-être plus sage, mais plus irisée, du Concerto en sol de Ravel. C’est ensuite en 1994 que les micros de la Deutsche Grammophon ont eu la bonne idée d’enregistrer en concert la plus électrique version qui se puisse imaginer du légendaire Concerto n° 1 de Tchaïkovski. Electrique certes, grâce à la puissance digitale incroyable de la pianiste, mais également d’une imagination poétique en phase avec le commentaire orchestral généré par le Berliner Philharmoniker et son chef.

En 2000, Claudio Abbado place l’Orchestre de Chambre Gustav Mahler, qu’il a créé en 1997, au service des concertos n° 2 et 3 de Beethoven. Enregistrées en concert au Teatro Comunale de Ferrara, ces deux partitions ainsi abordées témoignent une fois encore d’une complicité musicale pleine de vitalité et d’imagination entre les deux musiciens. Martha Argerich semble jouer, au double sens du terme, avec ces partitions d’une éternelle jeunesse. C’est avec Mozart que s’achève ce voyage à deux. C’est avec l’Orchestre Mozart, encore une phalange fondée par Abbado, décidemment infatigable jusqu’au soir de sa vie, qu’ont été réalisés en public les captations de deux des concertos les plus aboutis de Mozart, les KV 466 et 503, ceci au cours du Festival de Lucerne 2013, une manifestation portée à son zénith par Claudio Abbado. Une petite année avant sa disparition, le maestro donne au chant lumineux de la pianiste une réplique d’une profonde beauté.

Un concentré de bonheur irrigue chaque moment de ce beau coffret. La musique tout simplement !

Partager