Les relations musicales entre les époux Schumann apparaissent enfin dans de récentes parutions discographiques qui explorent pour la plupart d’entre elles les pièces de piano solo. Voici une passionnante confrontation entre deux partitions concertantes proches et pourtant caractéristiques de chaque compositeur.
La pianiste italienne Beatrice Rana et le chef d’orchestre québécois Yannick Nézet-Séguin unissent ici leurs talents pour explorer essentiellement deux partitions en miroir des deux époux aussi pianistes que compositeurs. Le livret de cet album présente un intérêt particulier. Une conversation entre les deux interprètes y éclaire le lecteur sur les œuvres présentées et sur les relations étroites et touchantes qui se sont développées entre Robert et Clara.
Si le programme de l’album se conclut sur une transcription par Franz Liszt de Widmung extrait des Liebeslied de Robert Schumann, les deux concertos pour piano et orchestre de Clara et de Robert constituent l’intérêt majeur de cette parution. Première remarque : les deux concertos en trois mouvements sont tous deux écrits en la mineur. Et d’aucun de penser que Clara a suivi, voire « copié », la tonalité du concerto de son époux. Eh bien c’est l’inverse qui s’est produit. Clara n’a que quatorze ans lorsqu’elle compose son concerto et c’est à seize ans qu’elle le joue, en grande virtuose qu’elle est, sous la direction de Felix Mendelssohn ! Ce n’est que plus tard que Robert suit l’initiative de sa chère Clara. Les lettres échangées entre eux témoignent d’ailleurs de l’immense influence de l’épouse sur celui qu’elle n’a cessé d’aimer jusqu’à sa tragique disparition.
Les trois mouvements du concerto en la majeur de Clara Wieck-Schumann, joués enchaînés, laissent au piano le rôle primordial. Peu de passages sont sans piano. Cette étroite interaction entre l’orchestre et l’instrument soliste se manifeste dès son entrée autoritaire du premier mouvement Allegro maestoso, après l’impérieux tutti de l’orchestre. Le second volet, intitulé Romanze, maintient le piano au premier rang, même lorsque de splendides interventions solistes du violoncelle viennent charmer l’oreille et l’esprit. Le final enchaîné impose là aussi un piano virtuose et conquérant. Notons que le concerto s’achève dans une tonalité mineure, détail rarissime dans les concertos romantiques ! Beatrice Rana et le Chamber Orchestra of Europe, habilement dirigé par Yannick Nézet-Séguin, éclairent cette partition avec conviction et gourmandise.
Le concerto de Robert Schumann est abordé ici en résonance avec celui de Clara. L’orchestre introduit, dès l’ouverture, un certain mystère que semble adopter le piano. Ce premier volet, initialement conçu comme un tout se suffisant à lui-même, développe ici un touchant dialogue entre l’orchestre et le piano. L’Intermezzo semble évoquer de tendres confidences que le final vient illuminer après une belle transition comme suspendue entre ciel et terre. Soulignons la parfaite cohésion, à la fois technique et profondément musicale, des deux « protagonistes » de cette belle interprétation.
Beatrice Rana conclut donc ce panorama sur la transcription par Franz Liszt du lied Widmung (Dédicace) de Robert Schumann. La pianiste en souligne la poésie et le lyrisme sans insister sur la virtuosité technique qui devient ainsi un simple outil de l’expression.
Serge Chauzy
Clara Schumann : Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 7
Robert Schumann : Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 54
Robert Schumann/Franz Liszt : Widmung
Album CD Warner Classics 5054197296253