Disques

Boulez l’inventeur

Le 26 mars 2015, le monde musical fête les quatre-vingt-dix ans de Pierre Boulez. Compositeur, chef d’orchestre, bâtisseur, dans tous les sens du terme, cet emblème d’une certaine avant-garde musicale a parcouru une trajectoire d’une ampleur exceptionnelle, faite de ruptures et de persévérance. Les nombreuses célébrations qui marquent son anniversaire prouvent l’influence que cet esprit libre a exercée et continue d’exercer sur le monde musical. Les rétrospectives discographiques se multiplient. Ce coffret de 14 CDs qui paraît chez Erato constitue une somme irremplaçable des différents rôles joués par Boulez sur la création musicale au XXème siècle.
La création de structures destinées à stimuler la création et l’exécution des musiques d’aujourd’hui (du Domaine musical à l’IRCAM et son Ensemble intercontemporain) représente une constante de l’action de Pierre Boulez. A l’image de Gustav Mahler, dont il deviendra l’un des interprètes les plus raffinés, le musicien partage sa carrière entre ses activités de compositeur, de chef d’orchestre et d’administrateur de ces structures. L’anthologie qui paraît ainsi sous la forme de ce généreux coffret regroupe l’intégrale des enregistrements effectués sous sa direction chez Erato entre 1966 et 1992. Très intelligemment, cet ensemble foisonnant se structure de soi-même en trois groupes bien caractérisés.

Il y a tout d’abord la référence aux trois compositeurs qui ont marqué la formation de Boulez : Stravinski, Schönberg, Messiaen (6 CDs). Les grands anciens en quelque sorte. Du premier figurent ici les pièces moins souvent enregistrées que ses plus célèbres ballets, à savoir : L’Histoire du soldat, Pulcinella, Le Rossignol… De Schönberg on retrouve les belles gravures du postromantique Pelleas und Melisande et ses deux concertos (violon et piano). Enfin de celui qui fut son professeur, Olivier Messiaen, figurent ici les rutilantes partitions mystiques que sont « Et expecto resurrectionem mortuorum » et Couleurs de la Cité Céleste.

Puis vient un groupe de 5 CDs consacrés aux compositeurs « contemporains » de Boulez, d’une certaine manière ses pairs en « avant-garde ». Outre Luciano Berio (avec sa mythique Sinfonia avec les New Single Singers), György Ligeti et Elliot Carter, les noms de Franco Donatoni, György Kurtag, Harrison Birtwistle, Gérard Grisey, Hugues Dufourt, Brian Ferneyhough, Jonathan Harvey et York Höller représentent l’essentiel des grands chercheurs de nouvelles voies musicales de la deuxième moitié du XXème siècle.

Enfin, 3 CDs (seulement !) brossent un autoportrait du compositeur chef d’orchestre lui-même. Il est ici loisible de constater que la plupart des partitions de Boulez restent des œuvres « in progress ». La référence constante à la poésie de Mallarmé surtout, mais aussi à celle de René Char coïncide avec la tendance du compositeur à remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier. C’est le cas de Le Visage nuptial, ou encore Le Soleil des eaux, Pli selon pli… Sont également réédités ici Figures, Doubles, Prismes, ainsi que les premières pièces comme la Sonatine pour flûte et piano, la fameuse Sonate n° 1 pour piano, Dérive I, Mémoriale, Dialogue de l’ombre double et cummings ist der Dichter.

Rien d’étonnant à ce que la direction de Pierre Boulez, chef d’orchestre, apparaisse ici comme une référence absolue. La clarté des discours, la rigueur des exécutions restent la volonté première de l’interprète. Il bénéficie, il est vrai, de musiciens exemplaires, que ce soient ceux de l’Ensemble intercontemporain, du BBC Symphony Orchestra, de l’Orchestre National de France, du London Symphony Orchestra ou du Chicago Symphony Orchestra. Une mention spéciale au violoniste Pierre Amoyal, aux pianistes Peter Serkin et Pierre-Laurent Aimard, à la flûtiste Sophie Cherrier et peut-être surtout à la soprano fétiche de Pierre Boulez, Phyllis Bryn-Julson.

Cette rétrospective devrait permettre une diffusion plus large de musiques, certes parfois exigeantes et même radicales, mais d’une inventivité toujours renouvelée. Reprenons la réplique écrite par Luciano Berio dans sa Sinfonia : « Thank you, Mister Boulez ! »

Partager