Danse

Une Bête… une Belle… et les Autres

Pour ce quatrième programme de la saison, Kader Belarbi avait choisi de de nous faire revoir l’une de ses premières chorégraphies, entrée au répertoire du ballet en 2013 : La Bête et la Belle. Sa relecture et sa libre adaptation du conte La Belle et la Bête de Madame Leprince de Beaumont va au-delà du conte de fée et du merveilleux, bien dans la manière du chorégraphe, comme on a pu le voir d’ailleurs à l’occasion de son Casse-Noisette. Ici Kader Belarbi met l’accent sur cette animalité qui est en nous et sur l’attirance qu’éprouve pour elle en particulier les êtres qui se construisent.
Les contes où se mêlent fées, sorcières et autres gnomes, font souvent les délices des tout-jeunes. Et le rideau s’ouvre sur une chambre de petite fille, ornée des roses rouges, fleur défendue dans le conte originel, dont l’élément essentiel est une armoire, sorte de truchement qui, tout au long du ballet, permettra le passage d’un monde à l’autre. Par cette porte, l’animal deviendra homme, et la fillette, femme, passant de l’innocence à l’éveil sensuel. De cette armoire jaillit au milieu d’une ribambelle de peluches, marque de l’enfance, une Belle, encore enfantine et curieuse. Puis l’armoire voyage à l’autre bout de la scène pour s’ouvrir sur la Bête qui exprime dans sa danse sa terrible solitude et son mal d’amour. Et s’ouvre le bal peuplé de créatures fantastiques : grues, autruches, pattes d’oies, queues de cobras, queues de couleuvres, cygne, vautour et un inénarrable Toroador. Le tout s’achevant sur une bacchanale échevelée, après un premier duo entre la Bête et la Belle, effrayée, émue et peut-être déjà conquise.

La Bête et la Belle, Davit Galstyan et Natalia de Froberville © David Herrero

C’est sur le monde des hommes que se relève le rideau, un monde cruel pour les Bêtes, un monde de chasseurs et de chiens, où la Belle troque sa robe de fillette pour « l’uniforme » de sa caste. Mais, face à la cruauté humaine qui va bien au-delà de celle des bêtes, elle se dépouille de sa défroque pour rejoindre la Bête, et partager son amour, en acceptant leurs différences. Cet amour, que d’aucun dirait contre-nature, sera-t-il possible ? Le retour de la Belle, qui a grandi et que l’amour a fait mûrir, dans sa chambre d’enfant, à la fin du ballet, n’apporte pas la réponse, laissant au public le soin d’apporter sa propre réponse.La musique de György Ligeti qui accompagne presqu’exclusivement l’œuvre du chorégraphe, avec l’inclusion de quelques pages de Ravel, de Haydn ou Daquin, est souvent déroutante.

Kader Belarbi a construit sa chorégraphie avec quelques « emprunts-hommages » à Mats Ek (pour le travail au sol), à Roland Petit et son Loup, ou bien au Sacre de Maurice Béjart dans le deuxième acte.

Il faut faire ici mention spéciale du dernier pas de deux de La Bête et la Belle, expression de l’impossible rêve, à la fois tendre, érotique et déchirante, avec en filigrane la victoire de la morale, des conventions, de la « normalité ».

Davit Galstyan et Natalia de Froberville

© David Herrero
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Natalia de Froberville était la Belle. Au-delà de sa présence, sa technique, son expressivité, saluons ici son endurance. Elle est, en effet, constamment sur scène tout au long du ballet. Et rien ne laisse transparaître la moindre faiblesse. Apeurée face à ces animaux ébouriffants, émue par la souffrance de la Bête, altière avec ses semblables, abandonnée à la passion, elle déplie tout l’éventail des sentiments avec une justesse remarquable.

A ses côtés, Davit Galstyan reprenait le rôle de la Bête, qu’il avait déjà tenu voici six ans.

Et nous avons retrouvé toute la puissance, l’intelligence du rôle, l’excellente technique, avec quelque chose en plus, une maturité qui renforce encore cette animalité humaine ou cette humanité animale (que choisir) qui sont l’essence du rôle.

L’ultime pas de deux des deux étoiles fut un moment d’émotion rare, certainement pour nous le sommet du ballet.

Et puis, il y a les composants de l’incroyable ménagerie présente tout au long de l’œuvre. L’androgyne cygne de Rouslan Savdenov qui traverse la scène dans un moment d’une ineffable et élégante poésie ; la girafe, véritable marlou mafieux, de Jeremy Leydier et ses bras béquilles ; les pattes d’oies de Typhaine Prévost et Kayo Nakazato (un duo qui fonctionne à la perfection, au fur et à mesure des ballet) vamps hollywoodiennes et séductrices ; le vautour de Minoru Kaneko, toujours aussi brillant de technique et d’expressivité ; et enfin (et surtout), l’incroyable composition de Philippe Solano en Toroador, irrésistible parodie d’Elvis, se jouant des difficultés chorégraphiques, somme toute assez classiques, avec une désinvolture (en apparence) et une aisance bien propre à ce danseur, pour endosser, le temps d’un entracte, la personnalité policée et la retenue d’un écuyer, attentif à la Belle lors de la chasse. Ce danseur, nommé soliste cette saison, nous offre, programme après programme, une danse jamais prise en défaut.

Philippe Solano © David Herrero

Le corps de ballet n’est pas en reste, s’identifiant avec un naturel confondant, aux divers animaux qui composent la Cour de la Bête, avec en point d’orgue la chasse à courre, et sa meute de chiens à oreilles de cockers et museaux proéminents. Les décors et les costumes de Valérie Berman (disparue, hélas, lors de l’entrée au répertoire de l’œuvre au Ballet du Capitole), loufoques, rutilants sont particulièrement mis en valeur par les lumières signées Marc Parent, un autre magicien.
Le retour des Etoiles.
A l’issue de la première représentation, Francis Grass, Président de la Commission Culture, Marie Dequé, Déléguée Métropolitaine en charge du Théâtre du Capitole, Christophe Ghristi, Directeur artistique et Kader Belarbi conféraient le titre d’étoiles aux quatre premiers solistes du Ballet. Ils renouaient ainsi avec la tradition du Capitole, dont les dernières Etoiles, voici maintenant quelques décennies se nommaient Nicole Fernandez, Jeanne Albertini et Alfredo Pietri.

Cette décision, Kader Belarbi l’a souhaitée, portée et enfin obtenue. Le Ballet du Capitole a donc ses étoiles, comme l’Opéra de Paris et l’Opéra de Bordeaux. Julie Charlet, Natalia de Froberville, Davit Galstyan et Ramiro Gómez Samón portent maintenant ce titre prestigieux, un honneur, qui s’accompagne aussi d’obligation d’excellence.

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