Danse

Un collier précieux dans la cassette du Ballet du Capitole

Que voilà un début de saison brillantissime pour le Ballet du Capitole ! Ces « Joyaux Français » voulus par Kader Belarbi ont fait la démonstration de ce que peuvent faire des danseurs venus d’horizons et de cultures si différents et éclectiques (14 nationalités différentes !) confrontés à la chorégraphie si particulière, si inventive de l’un des plus grands chorégraphes du XXème siècle, Serge Lifar, même si l’époque actuelle semble très oublieuse de tout ce qu’il a pu apporter à la danse d’aujourd’hui.
Ce sont deux de ses ballets les plus emblématiques que Kader Belarbi nous proposait pour ouvrir le bal de la saison.

Suite en blanc, créé à l’Opéra de Paris en pleine Occupation, sur l’exquise musique de Namouna de Edouard Lalo, est un ballet non narratif, bâti sur les strictes règles académiques avec tout l’apport lifarien du néoclassique.

Suite en blanc © David Herrero

Dans une succession de solo, pas de deux, pas de trois et ensemble, Serge Lifar nous fait une magnifique démonstration de tout ce qu’il a apporté de nouveau à la grammaire classique qu’il connaît parfaitement et qu’il peut, par là même détourner sans en changer la structure originelle. Ses allongements, ses décalés, ses ports de bras, ses glissements ou ses sauts en font sa signature, reconnaissable entre toutes. Pour affronter cette gageure, les danseurs du ballet du Capitole ont eu pour guide Charles Jude, magnifique danseur, qui a connu et dansé avec le maître. Avec Stéphanie Roublot, il a su insuffler à la troupe l’esprit de Lifar. Et les danseurs ont répondu, au-delà de toute espérance, à ce défi voulu par Kader Belarbi.

L’ouverture du rideau nous a donné à voir cette magnifique image de l’ensemble des danseurs, magnifiques statues impeccablement en place, qui fait soupirer de ravissement le public. Se succèdent alors les différentes variations de cette Suite. Etoiles, solistes, demi-solistes, corps de ballet nous feront une démonstration de la virtuosité, de la technique que demandent ces pièces.

Suite en blanc, Natalia de Froberville – Rouslan Savdenov © David Herrero

Juliette Thélin (quel plaisir de retrouver cette belle danseuse !) Solène Monereau, Sofia Caminiti (le 23) et Florencia Chinellato (le 24) font preuve d’une musicalité et d’une maîtrise remarquable dans La Sieste. Tiphaine Prévost nous régale, comme à l’accoutumée, de ses pointes d’acier, de sa virtuosité et de sa vivacité tant dans Sérénade que dans Thème Varié où elle est accompagnée de Philippe Solano, toujours aussi précis dans sa danse, propre, effilée, et dans ses arabesques infinies. Si nous avions un seul regret c’est de ne pas avoir vu ce danseur dans la Mazurka. Mazurka défendue avec le brio qu’on lui connaît par Davit Galstyan, tandis que l’interprétation de Ramiro Gómez Samón se faisait plus suave. La Cigarette de Natalia de Froberville et de Julie Charlet, pour différente qu’en fut l’approche, soulignait le bien fondé de leurs nominations d’étoiles tant leur interprétation était digne des plus grandes qui les ont précédées.

Et que dire du grand final où les 32 danseurs du Ballet du Capitole font merveille, pour la plus grande joie du public qui leur fit une ovation à chacun des (nombreux) rappels. Défi relevé et avec quelle maestria !

Mirages, Davit Galstyan, Julie Charlet © David Herrero

Venait ensuite le ballet Les Mirages que Lifar écrit en 1944, mais qui, en raison de la libération de Paris, ne sera représenté qu’en 1947. Il entre au répertoire du Ballet du Capitole, il y a cinq ans, presque jour pour jour, en octobre 2014. Ballet très structuré, très descriptif contrairement à Suite en Blanc, il met en scène un Jeune Homme et son Ombre, errant dans le monde des Mirages, dans le palais de la Lune, après que celle-ci guidée par les bergers, parcourt la nuit, laissant son palais désert. S’emparant de la clé des songes, malgré les exhortations de son ombre, le Jeune Homme libère les filles de la Nuit qui vont lui ouvrir les portes de l’illusion. Il va rencontrer tour à tour la Chimère, les Marchands et les Courtisanes, la Femme. Mais le rêve, la richesse ou l’amour ne sont qu’un leurre, et le héros se retrouve seul avec son ombre, unique compagne de sa solitude.

Mirages, Florencia Chinellato © David Herrero

Comme pour Suite en Blanc, Kader Belarbi avait fait appel à l’une des grandes interprètes de l’œuvre, Monique Loudières, qui elle-même l’avait travaillé avec Yvette Chauviré, créatrice du rôle.

Deux distributions se partageaient le programme. Julie Charlet, l’Ombre et Davit Galstyan, le Jeune Homme le 23, et Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón, le 24. Les deux premières étoiles retrouvaient les rôles tenus en 2014. L’un et l’autre l’ont visiblement approfondi et nous en donnent une interprétation très juste et poignante.

Mirages, Solène Monereau© David Herrero

Julie Charlet est impressionnante dans son interprétation dramatique. Elle est une Ombre dure, certes mais avec une présence très charnelle, très féminine. Sa technique est absolument irréprochable. L’interprétation de Davit Galstyan nous montre l’évolution d’un jeune homme de sa jeunesse à sa maturité au travers de ses rencontres, mais aussi ses fuites, avec pour lui aussi une interprétation dramatique très forte. Avec pour l’un comme pour l’autre, une technique sans faille. L’autre couple est formé par Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón. Elle est l’Ombre implacable et dure, sa technique impressionnante a parfaitement intégré le style Lifar.

Ramiro Gómez Samón campe un Jeune Homme rêveur, un peu éloigné de la réalité. A leurs côtés il nous faut souligner la lumineuse présence de Juliette Thélin et Solène Monereau, interprètes éthérées tour à tour de la Lune ; la Chimère enjôleuse de Tiphaine Prévost ; la Femme incroyablement sensuelle et bouleversante à la fois de Florencia Chinelatto ou la danse pétillante des Courtisanes de Sofia Caminiti et Solène Monereau.

Mirages, Natalia de Froberville, Ramiro Gómez Samón © David Herrero

Pour rendre encore plus magique cette soirée, Philippe Béran, chef genevoix, a su, à la tête de l’Orchestre du Capitole rendre toute la subtilité et la beauté des partitions d’Edouard Lalo, Henri Sauguet.

Il est cependant fort dommage, que ce programme si réussi ait été programmé en pleine semaine de vacances, se privant ainsi d’un public jeune et enthousiaste, prêt à se laisser envoûter par la danse.

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