Pour le troisième spectacle de ballet de la saison, Nanette Glushak avait fait le choix de deux chorégraphes emblématiques de la danse moderne : George Balanchine et Jiří Kylián, pour une soirée éblouissante dont l’une des perles fut, sans conteste, Juliana Bastos.
Juliana Bastos et Jérôme Butazzoni
(Photo David Herrero)
Que la troupe du Ballet du Capitole est l’une des meilleures dans le répertoire balanchinien n’est un secret pour personne. Le travail inlassable de Nanette Glushak depuis son arrivée à Toulouse porte des fruits magnifiques. Trois œuvres de ce chorégraphe figuraient à l’affiche : l’ «Allegro brillante », le plus ancien des trois, sur la partition de Tchaïkovski, pourrait résumer à lui seul la phrase célèbre du maître : « Voyez la musique et écoutez la danse ». Très russe dans sa conception (Petipa n’est pas loin) mais très technique, ce ballet n’est pas aussi simple qu’il en a l’air. Très incisif dans le rythme et la cadence, il demande de la part des danseurs une très grande précision dans l’occupation de l’espace, qui exclut l’économie des gestes. Amplitude voilà le mot qui nous vient lorsque les danseurs se déploient sur la scène dans une parfaite ordonnance et un ensemble confondant.
Et la musique, nous la voyons ! Elle a les traits de Juliana Bastos, royale dans cette œuvre. Superbement mise en valeur par Jérôme Butazzoni qui se montre un partenaire parfait, doublé d’un danseur d’une grande élégance qu’accompagne une technique à toute épreuve, Juliana fait preuve d’une assurance, d’une musicalité qui démontre la grande soliste qu’elle est devenue. Belle, racée, elle trouve ici l’occasion de montrer la plénitude de son art ; ses équilibres et ses attitudes sont sans faille, ses pointes sont d’acier, ses bras ont exactement trouvé le port « balanchine », mais jamais sa grâce ne se dément. A ses côtés, les danseurs de la Compagnie démontrent eux aussi combien ils ont intégré la rigueur balanchinienne, sans rien perdre cependant de leur personnalité propre.
Maria Gutierrez et Breno Bittencourt
(Photo David Herrero)
Le second ballet, « Tarantella », sur une musique de Louis Moreau Gottschalk, nous permettait de retrouver, dans ce pas de deux endiablé, notre couple de solistes : María Gutierrez et Breno Bittencourt. Petite pièce courte, mais diabolique dans sa chorégraphie elle permet à chacun des danseurs de montrer son savoir-faire. María fut légère, aérienne, enchaînant pirouettes, sauts (petits et grands), jouant du tambourin et du sourire avec un humour et le sens théâtral qu’on lui connaît. Un seul petit regret, cette jupette qui sied peu à sa silhouette de plus en plus fluette. Quand à Breno, quels mots nouveaux pourrait-on trouver pour dire le niveau atteint, l’excellence de sa technique, la rapidité de ses petites batteries, sa vitesse dans les pirouettes ?
« Who cares ? » était le troisième ballet de Balanchine, certainement l’un des préférés de Nanette Glushak.
La musique de Gershwin nous entraîne au milieu des gratte-ciel de New York pour une série de petites pièces, chansons des années 20, prétexte à une chorégraphie enlevée, qui donne à tous les danseurs l’occasion de briller. Nous avons retrouvé avec bonheur, l’élégance impériale de Juliana Bastos, la présence lumineuse de Raphaël Paratte qui s’affirme de spectacle en spectacle. Mais toute la troupe mériterait d’être nommée ici, de même que le magnifique jeu de lumière de Paul Heitzmann.
Saul Marziali et Paola Pagano (Photo David Herrero)
Les deux autres ballets présentés étaient l’œuvre du chorégraphe tchèque Jiří Kylián. « Petite mort » créé à l’occasion du bicentenaire de la mort de Mozart, est un petit bijou chorégraphique, ciselé avec l’art consommé d’un orfèvre. Sur deux mouvements lents de deux concertos pour piano du maître autrichien, le chorégraphe fait évoluer les danseurs en leur adjoignant de singuliers partenaires : des fleurets. Et là commence la magie. Jamais encore nous n’avions vu, pour notre part, une telle osmose entre danseurs, chorégraphie et musique. C’est le souffle court que l’on voit se dérouler une succession de figures d’une rigueur mathématique, tous les mouvements sont d’une synchronie parfaite, semblant tirés au cordeau. C’est un éblouissement, et l’on se surprend à dire : mais jusqu’où iront nos danseurs dans l’escalade vers l’absolu de la danse ? La perfection des ensembles le dispute à la perfection des figures où le mouvement s’arrête, comme suspendu, pour nous permettre d’admirer à loisir la plastique des danseurs. Le tonnerre d’applaudissements qui déferla sur le théâtre après quelques secondes d’un profond silence prouva, s’il en était besoin, le choc qu’avait ressenti le public.
Le ballet « Petite mort »
Le second ballet de Kylián fut d’une tout autre essence. « Sechs Tänze » est un divertissement qui se veut le reflet de l’humeur du compositeur, mêlant l’absurdité et l’humour, dans une pochade très dix-huitiémiste, où les danseurs, sur une base technique très élaborée, s’en donnent à cœur joie dans la grimace et la dérision. Des trouvailles de mise en scène font éclater de rire un public conquis, qui ne ménagea pas ses rappels au tomber du rideau.
Voici une soirée comme on les aime, mêlant le plaisir du déjà vu au bonheur de la découverte, une soirée où les étoiles étaient la danse, la musique, et la Compagnie dans son intégralité.
La prochaine soirée sera une nouvelle « trilogie » : Balanchine, Bigonzetti, Christe. En retirerons nous le même bonheur ? Très vraisemblablement.