Le ballet de Jean Christophe Maillot, chorégraphe français, entre pour la première fois au répertoire d’une Compagnie Française. C’est la proposition qu’a faite Kader Belarbi au public du Capitole, qui a répondu présent massivement sur l’ensemble des représentations du Roméo et Juliette du directeur des Ballets de Monte Carlo.
Les héros shakespeariens, dont l’histoire est connue de tous, débutaient la saison de la Danse au Théâtre National du Capitole. Le rideau s’ouvre sur un plateau immaculé, où, sur un des praticables incurvés qui occupent la scène, s’inscrit, dans une belle écriture cursive, la distribution du ballet. C’est là le premier choc visuel donné par la magnifique scénographie d’Ernest Pignon Ernest. Précurseur de l’art urbain français, il travaille de 1995 à 2006 avec Jean Christophe Maillot sur plusieurs scénographies, ainsi que des rideaux de scène. Ce dispositif au dépouillement extrême, s’il laisse toute la place à la danse, situe clairement les différents lieux de l’action, grâce aux glissements des praticables. On passe ainsi de la rue, au bal, du balcon (qui devient plan incliné) à la chambre et enfin au tombeau. Cette scénographie souligne encore plus le parti-pris cinématographique de la chorégraphie. On sait le goût de Jean Christophe Maillot pour le film de Zeffirelli, et l’on va retrouver tout au long du ballet des moments illustrant cette tendance. C’est le cas dès le début du spectacle avec l’entrée en scène du Frère Laurent entouré de ses deux acolytes (les deux faces de Janus ?), véritable fil rouge de l’histoire. C’est un être singulier, triste et sombre, qui va parcourir le ballet, introduisant, à mode de flash-back, les différents épisodes de l’histoire. C’est par lui que le malheur arrive, alors qu’il devrait être l’instrument du bonheur de Roméo et Juliette et de la réconciliation des Montaigu et les Capulet. Il n’est pas sûr que tous les spectateurs en aient saisi le sens, pour preuve certaines conversations saisies à l’entracte et à la fin du spectacle. Il est vrai que seul le col romain du personnage pouvait nous indiquer son état (mais qui porte un col romain aujourd’hui ?). Rouslan Savdenov campe à merveille ce personnage torturé qui introduit, à la manière d’une voix off, les différents épisodes de l’histoire, marquant d’un seul geste un ralenti ou un arrêt sur image qui fige les danseurs.
Mais pour le reste, le ton reste juvénile, rieur, voire comique, dans les premiers instants du ballet grâce au trio endiablé que forment Roméo et ses deux amis. Ramiro Gómez Samón, Mercutio, et Philippe Solano, Benvolio, rivalisent d’énergie et d’audace technique : envolée des sauts, ballon, virtuosité, tout y est, avec en plus un jeu d’acteur parfait dans le registre comique et hâbleur. Minoru Kaneko n’est pas en reste dans le rôle de Roméo, faisant preuve de qualités techniques remarquables doublées d’un vrai talent de comédien. Quand ces trois-là sont sur scène, on ne voit qu’eux
Face à eux, Alexandre de Oliveira Ferreira est un Tybalt d’une rare élégance, sa haute stature dominant la turbulence joyeuse des Montaigu. Racé, dominateur, il est l’incarnation de cette noblesse vénitienne à laquelle répond avec une extraordinaire superbe la Lady Capulet d’Alexandra Surodeeva. Altière, impériale, elle impose son personnage par sa danse tout en équilibres, parfaitement dessinée, et un jeu d’actrice confondant dans sa rage ou son désespoir. Marlen Fuerte Castro, pour sa part, est la vamp du film ! Sa Rosaline, sensuelle et sculpturale, va de Tybalt à Roméo faisant naître disputes et menaces à son passage.
En contre-point, la nourrice de Nancy Osbaldeston vive, joyeuse est un trait de vif argent en particulier face aux facéties des Montaigu, et pleine de tendresse pour Juliette. Juliette justement, incarnée idéalement par une Natalia de Froberville telle qu’en elle-même. Une technique sans faille, avec ou sans chausson, une dramatisation du rôle parfaitement contrôlée, passant de l’ingénuité d’une enfant de 15 ans qui découvre l’Amour, au désespoir de celle qui, devenue femme, lutte entre ressentiment et sentiment amoureux pour arriver au sacrifice suprême. Les pas de deux s’enchaînent, de Roméo à Frère Laurent , nous donnant à voir de très beaux moments chorégraphiques. La chorégraphie de Jean Christophe Maillot, si elle se veut néo-classique, et elle l’est, n’en repose pas moins sur de solides substrats classiques. Rapide, elle demande aux danseurs agilité et virtuosité, un défi que les danseurs du Capitole, dans leur ensemble, ont su relever avec brio. Les mouvements d’ensemble sont vifs, rarement dansés très face au public, mais ne sommes-nous pas dans un univers cinématographique ! Notre regard devient caméra balayant la scène dans un large mouvement panoramique. Le bal est, à cet égard, l’un des plus beaux exemples. En effet, comment ne pas penser à Maria et Tony, dans ce ralenti de la danse où se croisent les regards de Juliette et Roméo. Juliette, toute d’or vêtue, soleil parmi les costumes sombres des Capulets, Roméo dans la clarté de son costume, deux adolescents touchés par la grâce.
Reste la BO du film, pardon, l’accompagnement orchestral du ballet ! Garett Keast, le chef américain établi à Berlin, a semble-t-il, appliqué les normes cinématographiques en vigueur pour les films à grand spectacle : vite et fort ! Face à cette vague musicale et aux enchaînements chorégraphiques parfois démoniaques, les danseurs du Capitole ont su se jouer des difficultés que présentait une telle soirée. Un bel exploit quand on sait que beaucoup d’entre eux faisaient leur entrée au Ballet National du Capitole, pour le premier spectacle de la saison.
Et le public, très nombreux, n’a pas boudé son plaisir faisant une longue ovation aux artistes tout au long des cinq (seulement !) représentations.
Annie Rodriguez
