Lundi 11 janvier, Halle aux Grains de Toulouse, 2000 enfants pour deux matinées, 1100 spectateurs pour une soirée et des ovations sans fin ! Une complète réussite pour une fantastique rencontre !
Tout avait commencé l’année dernière déjà. L’association Classisco créée voici plus de quinze ans par Jean-Christophe Selin a pour objectif de donner la possibilité à des enfants de maternelle et de primaire de découvrir ou d’approfondir l’univers de la musique, qu’elle soit classique ou plus contemporaine. Au lyrique et au symphonique, Jean-Christophe Selin avait souhaité adjoindre le chorégraphique. C’est ainsi qu’en décembre 2014, deux mille enfants assistaient, à la Halle aux Grains de Toulouse à une version du Casse-Noisette de Tchaïkovski, dansée par le VM Ballet.
Répétition en studio – Photo Classictoulouse –
Cette année, le projet, s’il était plus ambitieux, était extrêmement enthousiasmant : la rencontre des jeunes danseurs du VM Ballet et les musiciens du prestigieux Orchestre de Chambre de Toulouse sur les Quatre Saisons de Vivaldi. Un nouveau défi pour Matthew Madsen, le chorégraphe de la Compagnie. S’il est vrai que la musique du prêtre roux parle à beaucoup d’entre nous, ce ne sont souvent que quelques phrases musicales qui nous reviennent à l’esprit.
Pour le chorégraphe, l’écoute de l’intégrale des quatre concerti fut non pas une découverte, mais des interrogations sur des passages moins populaires. Son travail de création commence dès la rentrée de septembre et toujours avec les danseurs. Car c’est là l’une des qualités de Matthew Madsen. Partager son inspiration avec eux, écouter leurs suggestions, et accepter leurs propositions souvent.
En parallèle, l’idée d’un spectacle ouvert au grand public, et pas seulement aux enfants, fait son chemin. Le choix des musiques additionnelles va se faire avec les musiciens de l’orchestre, dans leur répertoire. Et pour garder une unité, ce sera parmi les compositeurs baroques. L’Orchestre déroule alors pour Matthew des pages musicales où se succèdent Lully, Rameau, Bach, Purcell… Certaines « parlent » au chorégraphe, d’autres moins. Assez vite le choix est fait : Lully, Marais, Purcell, Telemann et Bach. Pourtant Matthew voudrait autre chose encore ! – « Pouvez-vous improviser quelque chose dans cet esprit-là ? ». Les musiciens se regardent interloqués. Improviser sur de la musique baroque ? « Ou autre chose », rétorque Matthew. Dans le silence, Alexandre Klein, contrebasse et archer en main s’écrie « Pourquoi pas ? », aussitôt suivi par Vincent Gervais et son alto. Mais plus qu’improvisation, disent-ils, parlons de recréation (récréation ?). C’est ainsi que ce duo improvisé va mettre sur pied un moment magique lors du spectacle.
Baroque Suites – Photo Classictoulouse –
Le travail se poursuit tout au long du 4ème trimestre. Une première rencontre en studio avec les musiciens et c’est, pour les deux groupes, la découverte mutuelle de leur art respectif. Prendre le temps, pour les musiciens, de voir, de regarder l’évolution des danseurs, habituellement l’apanage du « chef ». Pour les danseurs, entendre une musique vivante, avec des tempi parfois différents de ceux de l’œuvre enregistrée, avec pour corollaire, la remise en pas de certains passages. Début janvier, répétition en studio avec l’orchestre au complet. Gilles Colliard, le chef, jongle avec les mesures et les tempi pour « coller » à la chorégraphie. Les spectateurs privilégiés que nous sommes trouvent le résultat très réussi. Mais pour le chorégraphe, les danseurs peuvent toujours faire mieux.
La semaine qui suivra sera intense, des heures et des heures de répétition pour peaufiner la chorégraphie. Dimanche 10 janvier, prise de plateau à la Halle aux Grains. Et nouveau défi pour le chorégraphe : adapter le ballet à l’espace scène de la salle, si différent de l’espace studio ! Remplacer au pied levé des danseurs retenus par des auditions, ou des examens. Vient enfin la répétition générale. Pour l’amateur de ballet, tout à l’air de bien se dérouler. Et puis, à la fin, le couperet tombe : « Vous avez beaucoup travaillé, mais vous n’avez pas dansé ! » juge Matthew. Les sourires se crispent, puis peu à peu une sombre détermination se fait jour dans les regards. Rendez-vous demain pour l’heure de vérité.
Vivaldi – Photo Classictoulouse –
Lundi 11 janvier, 9 h 45, la Halle aux Grains s’anime : des centaines de petites frimousses franchissent le seuil et s’extasient sur la salle : « c’est beau, c’est grand ! ». Lorsque tous sont installés, un grand silence se fait. Jean-Christophe Selin explique en quelques mots la genèse du spectacle et recommande le plus grand silence, même pas d’applaudissements. Les archets s’animent et la musique de Lully retentit tandis que les danseurs entrent en scène. C’est alors une envolée de robes dans un camaïeu du bleu au mauve. Les filles virevoltent et les garçons portent haut leurs partenaires. Puis, pour ce premier spectacle, c’est le Printemps et l’Eté de Vivaldi qui s’invitent. L’Automne et l’Hiver viendront, quant à eux, dans l’après-midi. Malgré les recommandations, les élèves ne peuvent s’empêcher de battre des mains. Et c’est deux mille enfants qui en ce jour de janvier quitteront la salle, des étoiles plein les yeux.
Melwin Lawovi – Photo Classictoulouse –
Mais tout n’est pas terminé pour l’Orchestre et la Compagnie. Il reste le spectacle du soir. Il semble que les réservations soient assez satisfaisantes. Encore quelques instants avant l’entrée en scène ! On s’échauffe, on s’accorde, la tension monte, le trac est là ! Plus de mille spectateurs ont envahi la salle. Et la magie commence. Baroque Suites déroule ses accords, sa chorégraphie, mélange subtil de classique et de néoclassique, comme sait si bien le faire Matthew Madsen. De pas de deux en pas de six, d’ensembles en solo, les jeunes danseurs du VM Ballet nous donnent une magistrale leçon de danse. Le chorégraphe a choisi Telemann pour broder une chorégraphie sur mesure à Melwin Lawovi, Prodige des Prodiges de FR3, pour qui le mot pesanteur n’existe pas et dont la prestation soulève un tonnerre d’applaudissements. A la fin de cette première partie, hommage aux compositeurs baroques ; un mouvement se fait dans l’orchestre, deux musiciens quittent la fosse et montent sur scène. Une contrebasse, un alto, un danseur. Résonnent alors des notes qui n’ont rien de baroque. Malher et sa première symphonie se sont invités pour accompagner du… hip hop !!! Mathis s’élance, incroyable d’assurance, d’équilibre et de force bientôt rejoint par Emma, pour un duo-pas de deux tout ce qu’il y a de plus contemporain. L’alto s’adoucit pour accompagner la longiligne et si musicale Hannaë pour un pur moment classique. Il retrouve ensuite la contrebasse pour là une véritable improvisation où le contrebassiste abandonne l’archet pour faire de son instrument, un instrument de percussion. Cet interlude n’a nullement interloqué le public, conquis par ces rapprochements musicaux qui ne manquent pas d’audace.
Matthew Madsen et Gilles Colliard – Photo Classictoulouse –
L’Orchestre reprend le fil du spectacle pour un moment musical, dans toute la plénitude de son art. Enfin Gilles Colliard, le chef emblématique de l’OCT, lève son archet et les notes des Quatre Saisons résonnent. Et Venise, la Comedia dell’Arte, les costumes, dessinés par Claude Conte, parés des couleurs d’Arlequin envahissent la scène. La chorégraphie de Matthew Madsen passe tour à tour du classique le plus académique où tours, pirouettes et autres arabesques sont impeccablement exécutés par les danseurs, au néoclassique et encore au contemporain, mettant en lumière la grande polyvalence des jeunes artistes. L’orage de l’Été gronde, les oiseaux du Printemps pépient, les cors de chasse de l’Automne retentissent tandis que la bise aigre de l’Hiver persiffle. Et tout ceci, grâce à l’interprétation orchestrale magistrale et à la danse, devient limpide. Les danseurs évoluent avec une rigueur et une concentration qui n’ont d’égales que celles des musiciens. Il nous faudrait citer ici les 34 danseurs tant ils apportent tous à ce ballet : la musicalité de Julie ; le regard de Mathilde ; les sauts de Louis ; le lyrisme de Sarah ; l’élégance attentive de Pierrick ; le classicisme d’Antoine ; la grâce d’Anna et de Tailys ; la fougue de Jean Charles ; et puis Roxane, Soana, Lucien, Thomas…
Tout cela conduit par l’archet magique de Gilles Colliard. Cette soirée fut un moment de grâce et d’enchantement, qui révéla à bien des spectateurs combien la danse est un art majeur qui conjugué à la musique (mais peut-il y avoir vraiment une danse sans musique ?) peut nous faire oublier l’espace d’une soirée toutes les vicissitudes du monde qui nous entoure. De longues minutes d’applaudissements ont exprimé l’émotion ressentie par le public conquis et charmé par tant de fraîcheur et de talents réunis. De cette rencontre musiciens et danseurs ont gardé un souvenir ébloui et tous rêvent de poursuivre l’aventure sous les cieux toulousains, ou largement plus hexagonaux. Nous ne pouvons que souhaiter que ce magnifique spectacle puisse faire rêver bien d’autres publics. Euterpe et Terpsichore, si magnifiquement célébrées, y veilleront, n’en doutons pas !