Entre création et reprises, Brigitte Lefèvre propose au Palais Garnier un programme riche de métissages culturels, conjuguant en une soirée des interpellations coupées de tout sens narratif, mais aussi des réflexions sur l’Homme et la nature de son corps.
Passionnant !
Hark ! : Stéphanie Romberg et Amélie Lamoureux (Photo Agathe Poupeney)
Pour sa première création à l’Opéra de Paris, le chorégraphe israélien Emanuel Gat, aujourd’hui en résidence à Istres, tout près de Marseille, explicite, dans un court ballet de 25’, baptisé Hark !, dédié aux filles de la compagnie, ce qui fait l’essence même de sa réflexion chorégraphique, une réflexion tout entière contenue dans ce titre issu de l’anglais élisabéthain et signifiant : écoute, attention intense. Pas d’invention de forme ici, d’ailleurs les danseuses sont sur pointes, mais une proposition d’improvisation dans l’espace sur des chants issus d’un recueil composé par John Dowland en 1600.
White Darkness :
Marie-Agnès
Gillot
(Photo : Agathe Poupeney)
Aucune intention narrative, mais l’émergence d’une synergie liée aux choix respectifs des interprètes, chacune devant être attentive à l’autre. S’apparentant à un véritable exercice de studio, sur le rapport à l’autre vu sous un angle géospatial, l’œuvre n’est pas évidente à première approche et mieux vaut lire le programme de salle avant de s’abandonner à ce travail mélangeant subtilement la voix d’un haute-contre et le ballet syncopé de treize danseuses, parmi lesquelles Stéphanie Romberg (Première Danseuse) et Amélie Lamoureux (Coryphée).
Deux reprises majeures
Avec White Darkness de l’espagnol Nacho Duato, la troupe de l’Opéra de Paris retrouve l’un des chorégraphes les plus doués de sa génération. Entré au répertoire de cette troupe en 2006, ce ballet montre cinq jeunes couples en proie au problème de la drogue.
Nacho Duato va suivre plus particulièrement l’un d’eux personnifiant la lutte d’une jeune femme face à l’addiction que l’on peut imaginer être le jeune homme qui la séduit. Au cœur d’une grammaire chorégraphique d’une formidable fluidité se déploie tout l’humanisme du chorégraphe, sa compassion, son extraordinaire faculté à décrire des états émotionnels.
Marie-Agnès Gillot (Etoile) et Stéphane Bullion (Premier Danseur) sont les solistes pathétiques et émouvants de ce face à face.
MC 14/22 « ceci est mon corps » (Photo : Agathe Poupeney)
Les filles ayant ouvert la soirée, il revenait aux garçons de la conclure. Quel plus prodigieux ballet pouvait-on rêver à cet effet que le fascinant MC 14/22 « ceci est mon corps », créé en 2001 et entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2004. Se référant très précisément à l’Evangile selon Saint Marc, chapitre XIV, verset 22, le chorégraphe français d’origine albanaise Angelin Preljocaj réunit douze danseurs pour une exploration sans limite du corps masculin.
MC 14/22 « ceci est mon corps » (Photo : Agathe Poupeney)
Etablissant une relation d’évidence entre le divin et la création, il met en scène ces hommes à demi nu dans des tableaux religieux tels que la crucifixion, la mise au tombeau, la Pentecôte, une Piéta, le chemin de croix, etc., figeant des scènes « picturales » somptueuses visant directement l’architecture de la Cène. Véritable challenge pour les douze danseurs conviés, qu’il convient de saluer bien bas, ce ballet tyrannise les muscles, meurtrit les corps dans des affrontements bourreau/victime qui nouent la gorge. Fulgurant !