« La Petite Danseuse de quatorze ans », statue de bronze et incontestable chef-d’œuvre d’Edgar Degas exposé au Musée d’Orsay, est à l’origine de ce ballet créé en 2003 à l’Opéra de Paris. Plus qu’une exploration des coulisses de ce monde secret du ballet, c’est une véritable étude d’une société (1880) dans laquelle la fracture sociale expose les jeunes filles à de bien tristes destins.
Mélanie Hurel (La Petite Danseuse) et Emilie Cozette (La Danseuse Etoile)
– Crédit photo : Julien Benhamou –
Sur une idée de Brigitte Lefèvre, Directrice de la Danse à l’Opéra de Paris, un argumentaire historique signé Martine Kahane, alors Directrice du Service Culturel de l’Opéra de Paris et une partition de Denis Levaillant, Patrice Bart, actuel Maître de ballet associé à la direction de la Danse de notre première scène nationale, compose une chorégraphie conjuguant avec habileté et à propos la tradition classique et les figures issues de la grammaire contemporaine. Authentique ballet narratif, cette Petite Danseuse nous ouvre les portes interdites d’un certain milieu, celui des petits rats de l’Opéra, objet de tant de fantasmes. L’histoire, digne de Zola, nous conte le destin de Marie Van Goethem, ballerine par passion, prostituée par sa mère, disparue des archives de l’Opéra en 1880. C’est elle qui servit de modèle à Degas pour sa célèbre statue.
De la place Bréda, à Paris, au cours de danse à l’Opéra, de l’atelier de Degas au cabaret du Chat noir, la descente aux enfers de la jeune fille est sans appel. Dans l’incapacité d’en faire une Etoile, la mère de Marie en fera une prostituée et une voleuse. Arrêtée et emprisonnée à Saint-Lazare, Marie finira ses jours de façon peu glorieuse…
L’épilogue de ce ballet voit la petite danseuse devenir statue et, ainsi délivrée de sa condition humaine, devenir œuvre d’art et accéder à l’immortalité.
Vincent Chaillet (Le Maître de Ballet) –
Crédit photo : Julien Benhamou –
C’est incontestablement très beau, une authentique réussite « maison » dans les décors épurés d’Ezio Toffolutti et les costumes, inspirés des lignes de Degas, de Sylvie Skinazi.
Reprenant un rôle dans lequel elle s’est déjà illustrée lors de la création, Mélanie Hurel (Première Danseuse) est une Marie formidablement émouvante, composant avec subtilité ce double personnage d’artiste pugnace au devenir incertain en même temps qu’objet sexuel dans un monde de brute. Emilie Cozette (Etoile) incarne, quoi de plus naturel, la Danseuse Etoile, distante et lumineuse à la fois. Nolwen Daniel (Première Danseuse) est une Mère littéralement de cauchemar, véritable et terrifiante mante religieuse pour son enfant. Vincent Chaillet (Premier Danseur) est un Maître de Ballet de grande allure, superbe techniquement et dramatiquement dans un emploi exigeant, Yann Saïz (Sujet) tient le rôle peu reluisant de l’Abonné, celui qui fera luire des lendemains faciles à Marie et finalement l’abandonnera à son triste sort. Il sait lui communiquer tout son talent, fait de souplesse, de lascivité, d’abandon, de violence aussi. Une belle composition. Il revient à Yann Bridard (Premier Danseur) d’être cet Homme en noir, cet artiste qui immortalisera Marie. Comme lors de la création, il est bouleversant de fragilité devant son œuvre.
Une splendide reprise, dirigée par Koen Kessels à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris.