En ce mois de mars, Brigitte Lefèvre fait entrer au répertoire du ballet de l’Opéra de Paris l’une des pièces maîtresses du chorégraphe américain John Neumeier, aujourd’hui âgé de 67 ans, directeur et chorégraphe du Ballet de Hambourg.

Nicolas Le Riche (Photo : Sébastien Mathé)

Dans l’absolu, trois rencontres dominent l’Histoire commune du ballet et de la musique. Au 19ème siècle, il s’agit bien sûr de Petipa et de Tchaïkovski, et plus près de nous des tandems Balanchine/Stravinsky et Neumeier/Mahler. Sauf que, contrairement aux deux premiers cités, le suivant ne s’est jamais… rencontré. Or, John Neumeier a chorégraphié dix partitions de ce compositeur dont la plupart de ses symphonies.

Nicolas Le Riche et Delphine Moussin (Photo : Sébastien Mathé)

Travail gigantesque débuté quasiment en 1975 avec cette 3ème symphonie, un coup d’essai qui se transforma rapidement en pièce maîtresse de l’édifice mahlérien d’un chorégraphe avouant qu’il s’agissait là de son projet le plus ambitieux (la symphonie voisine les deux heures !). Pour la petite histoire, notons que Maurice Béjart travaillait en même temps que John Neumeier sur cette 3ème dont il ne prendra finalement que les trois derniers mouvements.
Entre rédemption et salut, un ballet hautement spirituel

Alchimie parfaite entre deux génies venant d’univers différents, la symphonie de gestes que nous propose John Neumeier est une authentique réflexion spirituelle, profondément panthéiste, mettant en lumière l’ambivalence manichéenne de l’Homme.

Découpé en six parties, ce ballet s’initie dans la violence d’une nature primitive pour s’achever dans la fulgurante vision de l’Amour absolu, celui-là même qui ne peut s’épanouir que dans un cadre divin. Entretemps, le lent cheminement vers une fin rédemptrice et donc porteuse de salut aura subtilement conjugué les visions éblouissantes et puissantes de la beauté d’une Nature déifiée, la nostalgie crépusculaire d’une vie qui se termine, liminaire à un bouleversant pas de trois en hommage à John Cranko (chorégraphe sud-africain mort accidentellement à 46 ans), enfin et en prélude au dernier mouvement, l’éclatante vision sous la forme angélique de la pureté enfantine.

Nicolas Le Riche et Clairemarie Osta (Photo : Sébastien Mathé)

Un plateau à la hauteur de l’évènement
L’exécution de cet ouvrage nécessite une réunion de talents tout à fait exceptionnelle. Peu de compagnies de ballet de par le monde peuvent afficher un tel programme.

En ce 17 mars 2009, pas moins de trois étoiles (Delphine Moussin, Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche), six premiers danseurs (Eleonora Abbagnato, Nolwenn Daniel, Mélanie Hurel, Stéphane Bullion, Alessio Carbone, Christophe Duquenne, Mathias Heymann et Karl Paquette) ainsi qu’une quarantaine de membres de la troupe étaient réunis sur le plateau de l’Opéra Bastille. S’il faut souligner la puissance de feu d’un Nicolas Le Riche au sommet de son art (il est ici le fil rouge de tout ce ballet), il convient de faire de même pour la suprême musicalité et l’intense émotion de Delphine Moussin et Clairemarie Osta.

En fait, l’éloge se doit ici d’être globale tant la mobilisation est générale. A ce titre, le corps de ballet de l’Opéra de Paris démontre encore une fois sa suprématie dans ce genre d’exercice de haut vol.

Nicolas Le Riche et le corps de ballet – Final (Photo : Sébastien Mathé)

Comment ne pas associer également au triomphe de cette soirée l’Orchestre de l’Opéra de Paris (mention spéciale pour Luc Rousselle, cor de postillon), la Maîtrise des Hauts de Seine, le chœur d’enfants de l’Opéra de Paris et la mezzo-soprano tchèque Dagmar Peckova qui, placés sous la direction de maître Klauspeter Seibel, permirent à cette soirée d’atteindre ce lyrisme et cette puissance contemplative proches des frontières de la métaphysique.

Deux heures inoubliables !

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