Danse

Le Corsaire : la magie opère toujours…

Lorsqu’en mai 2013 Kader Belarbi nous proposait sa re-création du ballet que Joseph Mazillier avait lui-même créé en 1856, nous avions écrit, dans ces mêmes pages, combien ce ballet nous avait semblé abouti et le plaisir que nous avions pris à ce spectacle. Et nous avons retrouvé avec bonheur tout ce qui à l’époque nous avait enchanté.
La production est toujours aussi élégante, les décors qui peuvent sembler minimalistes contribuent, par leur légèreté, leur diaphanéité, à mettre en valeur les somptueux costumes d’Olivier Beriot, leurs palettes de couleurs tour à tour chatoyantes pour la cour du sultan, ou au contraire assourdies pour le peuple et les marins. Les pantalons bouffants et les boléros ont avantageusement remplacés les tutus si anachroniques des anciennes productions.

Maria Gutierrez et Davit Galstyan

© David Herrero

Natalia Huet de Froberville et

Minoru Kaneko © David Herrero

La chorégraphie fait toujours la part belle au vocabulaire classique du grand ballet romantique, les danseuses dansent pratiquement toujours sur pointes ; les ensembles évoluent avec l’extrême rigueur que demande ce type de ballet. Depuis la première production de 2013, la troupe a évolué, certains l’ont quittée, d’autres l’ont intégrée, et par-là même certains rôles ont pris une autre couleur.

La première distribution réunissait, comme il est habituel maintenant, María Gutiérrez, la Belle Esclave, et Davit Galstyan, le Corsaire. On sait combien ce couple de scène a su trouver une complémentarité, une complicité qui rendent leurs interprétations si convaincantes. Et ce fut de nouveau le cas. María est toujours aussi bouleversante de fragilité, de tendresse amoureuse ; son sens théâtral ne faillit pas lorsqu’il s’agit de nous donner à entendre combien elle se sent blessée dans son corps et dans son âme. Lyrisme, musicalité, charisme sont toujours ses principales qualités. A ses côtés Davit Galstyan a tout simplement été éblouissant : ses tours, son élévation, sa puissance font merveille. Davit est vraiment, à cette rentrée, dans la plénitude de son art. Ajoutez à cela qu’une certaine gouaille de bon aloi dans ce rôle attire toute notre sympathie. Vous comprendrez pourquoi ce couple a longuement été ovationné tout au long du spectacle.

Ramiro Gómez Samón et Natalia Huet de Froberville © David Herrero

Nous attendions la deuxième distribution avec une certaine impatience. Ramiro Gómez Samón était le second Corsaire. Nous avions déjà pu apprécier lors de la saison dernière les indéniables qualités de ce danseur formé à l’école cubaine. Il fut lui aussi prodigieux : manèges, tours, portés, tout fut excellemment exécuté. Ses pirouettes, en particulier, étaient de la meilleure facture : précises et parfaitement achevées. Son interprétation, toute en nuance, en fait un Corsaire différent de celui de Davit, mais tout aussi attachant. La Belle Esclave avait les traits d’une toute nouvelle venue dans le ballet : Natalia Huet de Froberville. Formée au ballet de Kiev, elle possède toute cette science de l’école russe. Sa Belle Esclave est parfaite. Très lyrique, elle a, elle aussi, une très belle musicalité. Sa danse est précise, ses lignes extrêmement élégantes. Elle dégage une féminité, un charme, qui donnent toute son épaisseur à son personnage.

Pour ces danseurs, le sommet du ballet, tant attendu par le public, reste le pas de deux du dernier acte. Et le public ne fut déçu face au feu d’artifice que tous les protagonistes lui offrirent.

Norton Fantinel © David Herrero

Mais ces couples ne sont pas seuls sur scène. Auprès d’eux, le rôle du Sultan était interprété tour à tour par Norton Fantinel, nouveau venu lui aussi, et Minoru Kaneko. Tous deux donnent beaucoup d’épaisseur à ce personnage inquiétant et redoutable. Norton plus en force et en violence, Minoru semble quant à lui plus cruel et plus froid. Demian Vargas partageait le rôle du Compère avec Philippe Solano. Bondissants, virevoltants à l’envie, ils campent avec beaucoup de sens théâtral cet ami fidèle qui sacrifiera sa vie.

La Favorite, dont le somptueux costume est à lui seul un enchantement pour la vue, était dansée en alternance par Juliette Thélin et Scilla Cattafesta. Elles sont toutes deux machiavéliques à souhait. Juliette Thélin, hautaine et déterminée, Scilla Cattafesta plus perfide, mais tout aussi déterminée.

Au premier plan, Philippe Solano © David Herrero

Le corps de ballet, tout en étant parfaitement harmonieux et homogène, nous donne à voir des individualités qu’il est difficile de ne pas remarquer. Enfin, un dernier plaisir, et non des moindres, la présence de l’Orchestre National du Capitole, avec à sa tête David Coleman, complice de Kader Belarbi, dans la réécriture de la musique du ballet. A la musique originelle d’Adolphe Adam, ils ont rajouté celle de Lalo, Arenski, Sibelius et Massenet, le chef d’orchestre réalisant quant à lui la liaison entre ces différentes partitions. Soulignons également l’attention que porte David Coleman aux danseurs, ajustant le rythme de l’orchestre à leur interprétation.

Ce Corsaire, va poursuivre sa route, qui le mènera à Paris en juin prochain, où, nous n’en doutons pas, un magnifique accueil lui sera réservé.

Mais dans l’immédiat c’est Giselle qui part pour Montpellier en ouverture de saison de Montpellier-Danse, les 16 et 17 novembre à l’Opéra Berlioz-Le Corum. Là non plus, nous ne doutons du succès que devrait recueillir la relecture de cette œuvre qu’en a faite Kader Belarbi.

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