C’est ainsi que le chorégraphe concluait sa présentation de la re-création de son ballet Les Saltimbanques. Et pour cela la Halle aux Grains s’était transformée en immense chapiteau, dévoilant une galerie qui, d’ordinaire, disparaît derrière tentures ou décors, et occupée, pour l’occasion, par un public de carton-pâte.
Kader Belarbi © David Herrero
Et le spectacle peut commencer ! Mais quel spectacle ? Va-t-on y voir de la danse, oui bien sûr, mais pas seulement. Les acrobaties, la musique, le théâtre sont aussi de la revue, car c’est bien de cela qu’il s’agit, une revue de tout ce qui fait la joie du cirque : les clowns, les jongleurs, les écuyères, les acrobates…
Si le début du ballet donne une impression de joyeux désordre, ce n’est que la mise en scène d’une parade destinée à attirer le public afin qu’il vienne prendre part à la fête. Arlecchino joue les Monsieur Loyal avec une fougue et une vitalité contagieuse. Saluons ici la performance de Simon Catonnet aussi bon danseur que comédien qui animera tout le spectacle sans rien perdre de son allant et de sa diction parfaite. Tous les danseurs participent joyeusement à cette invitation en chantant, en dansant, en jouant d’instruments très improbables tels que cuillères, plats, casseroles…
Simon Catonnet © David Herrero
Marlen Fuerte Castro © David Herrero
Les langues se mêlent, mettant en exergue les nationalités si diverses des danseurs. Chacun y va d’une petite démonstration de son art. Puis les artistes s’échauffent : Les Zanni nous régalent d’un feu d’artifice technique qui laisse bouche-bée les spectateurs. Amaury Barreiras Lespinet et Philippe Solano font ici la preuve de leur haut niveau et de l’énergie qu’ils savent développer et qui les accompagnera durant toute l’œuvre. Les filles manient avec brio d’énormes éventails qui volent au travers de la scène au gré des grands jetés des danseuses. Les scènes se succèdent, en forme de « collage » ainsi que l’a souhaité le chorégraphe, tantôt brillantes, tantôt burlesques ou très poétiques. A la vivacité des Zanni, répond la douceur du duo entre Pierrot (Eneko Amorós Zaragoza) et l’écuyère (Saki Isonaga) jolie poupée toute de bleu vêtue.
Natalia de Froberville et Ramiro Gomez Samon © David Herrero
Puis c’est le personnage du gros bouffon qui envahit la scène. Tout droit sorti du tableau de Picasso, Ramiro Gómez Samón donne vie à El tío Pepe Don José (chef d’une troupe de cirque à l’époque). Dans un costume rouge qui n’est que bourrelets (ça ne vous rappelle rien ?) le danseur déploie une grâce et une agilité qui démentent la lourdeur apparente du costume. S’en suit un duo avec Pepa, la ballerine, une Natalia de Froberville toujours aussi efficace et talentueuse. Cette parade, et la première partie du ballet se terminent sur l’un des grands moments de ce spectacle, le duo entre le clown, Alexandre Ferreira, et Gigi (Kayo Nakasato). Entre le clown au long -très long- cou et la toute ronde Gigi portant un masque tout à fait dans la veine cubiste chère au peintre, la danse se fait tour à tour tendre, parfois grotesque, souvent hilarante.
Rouslan Savdenov © David Herrero
La deuxième partie de l’œuvre semble plus organisée ; nous avons quitté la parade et nous sommes sous le chapiteau pour assister au spectacle et aux numéros qui se succèdent. La toute belle ballerine de Natalia de Froberville entourée de ses quatre acrobates, là où la danse reprend tous ses droits ; le numéro de charme de la funambule Julie Charlet tout en grâce, en tendresse et en poésie qui fait chavirer le cœur du public ; le retour des deux clowns et leurs ballons en forme de cœur, moment joyeux qui fait naître les rires. Et lorsque des cintres, descend la cage aux fauves faites de cordes et de ballon, la Vera dompteuse magnifique que campe Marlen Fuerte fait frémir le public et ses partenaires (Amaury Barreiras Lespinet et Philippe Solano) devenu pur-sang l’espace d’un instant par la magie du masque. Le ballet aux accents (et aux costumes) très ibériques de l’ensemble des danseuses se veut l’hommage au peintre, inspirateur de cette œuvre.
Julie Charlet © David Herrero
Le programme prend fin avec la réapparition du vieux saltimbanque prostré et endormi (Rouslan Savdenov, étonnant), qui revient après son trio avec Arlecchino et Pierrot. Sous le nom de Pepe de la Matrona, il fait revivre ce maître absolu du chant flamenco du 20ème siècle, disparu à l’âge de 93 ans. Le martinete, chant triste et monotone qui accompagne sa danse, annonce sa fin, suggérée par le flot de sable rouge qui s’échappe de son costume, mais aussi la fin du spectacle.
La création musicale de Sergio Tomassi, qui l’exécute sur scène à l’accordéon, au milieu des danseurs est aussi l’un des moments forts de ce spectacle. Musique où se mêlent, grâce à la magie de la technique, d’autres bruits, d’autres morceaux (Gounod et son Ave Maria ou Verdi et La Traviata). Un kaléidoscope de sons qui répond aux magnifiques effets lumineux que réalise Sylvain Chevallot.
Alexandre Ferreira et Kayo Nakazato
© David HerreroO
La scénographie de Coralie Léguevaque est une mine de trouvailles toutes plus originales les unes que les autres. Les décors, que manipulent les danseurs, tout comme dans un « vrai » cirque, font naître des lieux indépendants sur la piste. Du velum aux ballons, des cubes podium aux cordes multiples, tout est pensé pour nous entraîner dans le monde merveilleux du cirque. Et l’ensemble ne serait pas complet sans les extraordinaires costumes d’Elsa Pavanel. Des sobres costumes des acrobates à ceux plus colorés des autres artistes, nul doute que Picasso se serait reconnu dans nombre d’entre eux (que l’on se souvienne de ceux du Tricorne des Ballets Russes). Lorsque s’éteignent les feux des projecteurs il nous reste un sentiment d’émerveillement et de mélancolie mélangé. La fête est finie, mais les yeux sont pleins d’images et les oreilles pleines de sons ! le Ballet du Capitole a fait son cirque, et ce fut un bonheur !