Danse

La soirée des géants

L’Histoire de la danse a d’ores et déjà pris la mesure de l’apport essentiel des deux chorégraphes américains à son évolution, tant il est primordial et complexe. Il n’est que d’observer attentivement ce que leurs successeurs ont intégré de cet héritage dans leur propre création pour s’en apercevoir. Le programme proposé par Brigitte Lefèvre est un must du répertoire de la Compagnie qu’elle dirige, d’autant que les quatre œuvres présentées ont été écrites pour le Ballet de l’Opéra de Paris.

złožony/composite – De gauche à droite : Nicolas le Riche, Aurélie Dupont et

Jérémie Bélingard
– Crédit photo : Anne Deniau –

La soirée débute avec In the Middle, Somewhat Elevated, un ballet créé donc in loco en 1987. Avec ce « joyau pur et dur », William Forsythe marque d’un sceau indélébile et définitif son entrée dans l’Histoire de la danse. Son style est entièrement là, fait d’instabilités, de mouvances, de fulgurances, de frontières, d’accélérations et de retenues, de sensualité et de froideur. Malgré l’effroyable difficulté d’interprétation, Brigitte Lefèvre le confie aujourd’hui à ses jeunes pousses, Sujets, Coryphées et même Quadrille. Ils sont neuf sur cet immense plateau nu, neuf danseurs interrogeant les limites de leur corps pour suivre les déflagrations acoustiques de la musique signée Thom Willems. Et c’est somptueux de précision, de virtuosité, de maîtrise, de jubilation partagée entre danseurs et public. Tous ces magnifiques interprètes seraient à citer pour leur niveau exceptionnel. Retenons-en un cependant pour son évident magnétisme, sa puissance, son élévation, sa silhouette et des qualités qui devraient l’amener rapidement vers des premiers plans, c’est Audric Bezard, non pas Sujet comme indiqué dans le programme de salle (problème de date de nomination) mais Premier danseur depuis le mois dernier, une promotion largement méritée.
Pluie d’Etoiles
Pour les deux ballets suivants, l’Opéra de Paris affiche cinq Etoiles et l’une de ses plus prestigieuses Premières danseuses.

Unique partition chorégraphique de la soirée signée Trisha Brown, sur une musique de Laurie Anderson, O złožony/O composite fut créée en 2004. Cette ode à un oiseau est interprétée ce soir par Aurélie Dupont, Nicolas Le Riche et Jérémie Bélingard, trois artistes qui vont nous mettre en littéral état d’apesanteur. Il est difficile d’imaginer l’extrême contrôle que nécessite un tel ballet dans lequel les deux garçons se passent de main en main une partenaire totalement évanescente. Comme désincarnée.

Woundwork 1 : Nicolas le Riche

– Crédit photo : Anne Deniau –

C’est d’une plénitude, d’une sérénité et d’une beauté à couper le souffle. Ce ballet porte à son acmé le sens du mot poésie en matière de chorégraphie.

Nicolas le Riche revient immédiatement après pour le troisième ballet, Woundwork 1, signé Frédéric Forsythe, sur une musique de Thom Willems, créé en 1999. Il est accompagné cette fois de Marie-Agnès Gillot, Benjamin Pech et Eleonora Abbagnato, Première danseuse. De pas de deux en pas de quatre, c’est toute une alchimie de mouvements qui se croisent et surtout s’entrecroisent que nous exposent ces trois danseurs d’exception. La fluidité d’une chorégraphie d’une incroyable complexité atteint ici une limpidité qui tient de la magie et en dit long sur la maîtrise spatiale des interprètes.

Ambiance festive pour terminer
Pas./Parts fut créé le même soir que le ballet précédent. Signé Frédéric Forsythe et toujours sur une musique de Thom Willems, il est destiné à mettre « en danger » des danseurs Sujets, Coryphées et Quadrilles n’ayant pas trop l’habitude de rôles « soliste ». Mis à part Stéphanie Romberg, Muriel Zusperreguy et Audric Bezard, Premiers danseurs, et respectueuse des volontés du chorégraphe, Brigitte Lefèvre offre ainsi leur chance à onze de ses danseurs. Ils sont donc quatorze exposés à des solos, pas de deux, trios, quatuors ainsi qu’un septuor et un ensemble final vertigineux de précision. Le but du chorégraphe est de donner la possibilité à ces jeunes danseurs de montrer leur générosité et leur personnalité en les précipitant sur les frontières extrêmes de leur propre savoir. Conjuguant inventivité et pureté technique, la distribution réunie prend possession de l’immense espace scénique qui leur est offert dans une explosion d’énergie confondante et jubilatoire.

Peu de soucis donc concernant la relève des grands aînés dans les années à venir ! Pour l’heure un fantastique programme à voir absolument.

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