Danse

La renaissance d’un chef d’œuvre du 7ème art

Adapter pour le ballet un film considéré, encore aujourd’hui, comme le chef d’œuvre du cinéma hexagonal, pouvait être une pure folie.

C’est pourtant le challenge proposé par Brigitte Lefèvre à l’un de ses danseurs étoiles : José Martinez. Pari réussi !

Entendons-nous bien, il s’agit ici plus d’une adaptation du scénario original de Jacques Prévert que de la transcription chorégraphique du film de Marcel Carné. De toute manière il était hors de question d’écrire un ballet de… 3h25’ (durée du film). Cette contrainte se révéla d’ailleurs une source d’inspiration en cela qu’elle imposa aux artisans de ce spectacle une vision très synthétique du scénario. Il fallait donc réunir les fondamentaux du scénario en une dramaturgie de deux heures tout en conservant cette atmosphère du Paris de 1830, ce formidable foisonnement théâtral du Boulevard du Temple, ce choc des classes sociales et, surtout, l’immense poésie qui baigne l’œuvre de Prévert.

Tout le monde connaît les amours contrariés du mime Baptiste Debureau (1796-1846) et de la belle Garance, la silhouette énigmatique de Lacenaire, ce dandy assassin qui finit guillotiné en 1836, la fulgurante ascension artistique de Frédérick Lemaître (1800-1876), monstre sacré du théâtre de ce fameux Boulevard du Crime. Nous les retrouvons bien sûr dans ce ballet, et avec eux les ombres de Jean-Louis Barrault, Arletty, Marcel Herrand et Pierre Brasseur. Nous retrouvons aussi ce qui est peut être l’essence même du scénario, ce magnifique et fervent hommage au spectacle dans toute sa diversité et son histoire : les tréteaux, le mime, la pantomime, le théâtre classique, le mélodrame, etc.

Les décors d’Ezio Toffolutti évoquent, en couleurs, le plateau de ce film, tourné… en noir et blanc. Les costumes d’Agnès Letestu (danseuse étoile de l’Opéra de Paris) s’inscrivent dans une esthétique fidèle à l’époque du drame. Ils opposent une foule d’anonymes aux teintes monochromes aux personnages principaux déclinés danndée au coms des teintes vives.

La partition musicale a été commapositeur français Marc-Olivier Dupin, actuel directeur de France Musique et auteur de nombreuses partitions pour le cinéma, la télévision et le théâtre. Hétérogène sur le plan stylistique, cette composition reflète à merveille tout le romanesque de ce drame avec une sincérité, une efficacité et une simplicité étonnantes dans le paysage musical actuel. Seule « concession » au ballet classique, l’épisode de la création, au deuxième acte, de la pièce Robert Macaire, sur une musique issue directement de thèmes de Domenico Scarlatti.

L’art du silence, idéal pour un ballet

Le personnage principal est, bien sûr, Baptiste, le mime amoureux de la belle Garance. José Martinez ne pouvait rêver meilleur sujet à chorégraphier, le mime étant en lui-même un art du silence. Seule étoile de la distribution de ce soir, Mathieu Ganio s’approprie le rôle avec une intensité émotionnelle et un engagement dramatique qui lui valurent un véritable triomphe.

La chorégraphie de José Martinez, tout en faisant appel à la pantomime, n’expose pas dangereusement et longuement les interprètes à la grammaire classique. C’est certainement pour cela que Brigitte Lefèvre affichait également et très opportunément, des sujets dans les rôles principaux : Ludmilla Pagliero, Garance empreinte d’une féminité follement romantique et Julien Meyzindi, Lemaître passionné, superbe dans

Mathieu Ganio (Baptiste)

Photo Sébastien Mathé

son numéro d’Arlequin, mais aussi Christelle Granier (Nathalie) et Caroline Bance (Hermine). Deux coryphées complétaient les premiers rôles : Sébastien Bertaud, un inquiétant Lacenaire, vibrante personnification du dédain et du mal réunis, Alexis Renaud incarne quant à lui un Comte de Montray d’une noblesse indiscutable.

Au centre, Ludmilla Pagliero (Garance) – Photo : Sébastien Mathé

Saluons aussi comme ils le méritent tous les autres interprètes, et ils sont nombreux, de cette création, ainsi que l’Ensemble orchestral de Paris dirigé pour l’occasion par Pablo Heras-Casado

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