Danse

La Danse des origines

Deux entrées au répertoire du Ballet du Capitole, voilà le programme que nous proposait Kader Belarbi pour son quatrième spectacle de la saison. Et les deux œuvres présentées font véritablement partie du patrimoine de la danse. L’une, La Fille mal gardée, créée en 1789 par Jean Dauberval, alors maître de ballet au Grand Théâtre de Bordeaux après avoir été premier danseur de l’Opéra de Paris ; l’autre Napoli (1842), d’Auguste Bournonville, chorégraphe danois, fils du chorégraphe et danseur français Antoine Bournonville. Nous sommes donc en présence de ces trésors de la danse, qui soit ont disparu des répertoires et ont nécessité une vraie recherche de type scientifique pour en retrouver l’essence, c‘est le cas du ballet de Dauberval, soit ont été dansés sans discontinuité, comme Napoli qui compte à ce jour plus de 800 représentations, et constitue aujourd’hui l’une des cartes de visite du Ballet Royal Danois.

Maria Gutierrez et Davit Galstyan dans Napoli – © David Herrero

Napoli divertissement
Ballet en trois actes, ce n’est que la partie festive de la fin du troisième acte qui nous est présentée ici, avec, de plus, le pas de deux de La fête des fleurs à Genzano, morceau de bravoure souvent donné en gala. C’est Dinna Bjørn, grande spécialiste de Bournonville qu’elle a dansé tout au long de sa carrière et dont elle remonte les chorégraphies dans le monde, qui était venue travailler avec les danseurs du Capitole dans les studios de Montaudran. Ballet festif, mélange de danse et de pantomime à l’origine, il est le parfait exemple de la « langue » de Bournonville, qui mêle ballet romantique et danses de caractère. Le pas de deux de La fête des fleurs est à cet égard une vraie leçon de grammaire de Bournonville, autant pour la danseuse que pour le danseur.

La première distribution réunissait María Gutiérrez et Davit Galstyan. Ces deux-là furent véritablement en état de grâce ce soir-là. María, piquante, pétillante, infiniment gracieuse, déroula ses variations avec le talent et la technique qu’on lui connaît. Les cabrioles et les jetés de Davit firent merveille. C’est Tatyana Ten et Kasbek Akhmediarov qui assuraient la deuxième distribution. Partenaires parfaitement à l’écoute l’un de l’autre, c’est l’école russe qui triomphait avec eux, avec cette rigueur technique qui la caractérise mais peut-être un peu moins de spontanéité que la distribution précédente.

Le Pas de Six et la Tarentelle de Napoli firent, une fois de plus, la démonstration du savoir-faire de la Compagnie. Les ensembles sont très en place, les individualités se font jour bien sûr, mais sans jamais troubler l’harmonie du ballet. Il serait difficile de nommer ici tous les danseurs pour leur interprétation. Soulignons pourtant la très belle variation de Shizen Kazama, tout jeune nouveau venu dans le corps de ballet ainsi que le trio formé par Pascale Saurel, Vanessa Spiteri et Nuria Arteaga, toujours aussi radieuse de danser.

Napoli avec Tatyana Ten et Kasbek Akhmediarov © David Herrero

La Fille mal gardée
C’est Jean-Georges Noverre qui, dans ses Lettres sur la danse et sur les ballets, en 1760, se fait l’ardent défenseur du « ballet d’action », où dit-il la danse doit être le reflet des passions humaines. Dauberval va suivre cet axiome et créer un ballet plein de fraîcheur et de vitalité. Lorsque en 1989, on célèbre le deux centième anniversaire de la révolution, Jean Paul Gravier, alors directeur du ballet de Nantes et après de patientes recherches pour retrouver la trace de ce ballet, demande à Yvo Kramér, chorégraphe suédois, grand spécialiste de la danse du XVIIIème siècle, de remonter ce ballet en étant aussi fidèle que possible à l’original. Le chorégraphe, plutôt que d’une reconstitution préféra parler d’une réinterprétation. Avec la complicité de Dominique Delouche qui réalisa les décors et les costumes, il offrit au public une œuvre tout à fait dans l’esprit de l’époque.

La Fille mal gardée avec Lauren Kennedy et Valerio Mangianti © David Herrero

C’est donc cette version que nous a proposé Kader Belarbi. Nous sommes dans un environnement champêtre, qui n’est pas sans rappeler le Trianon de Marie Antoinette, avec poules, baratte et journaliers joyeux. Ici point de pointes, ni tutus. Les danseuses portent de ravissantes robes à petits paniers, dentelles et rubans sur leurs chaussures, les danseurs des chapeaux à plumes et des culottes à la française. Nous sommes véritablement dans un tableau de Greuze. Quant à la danse, nous sommes loin aussi du ballet romantique et de ses jetés, tours et arabesques. La pantomime est reine, la grâce, la malice et le théâtre envahissent la scène. Et les danseurs se prêtent au jeu avec beaucoup d’enthousiasme. Valerio Mangianti campe une fermière Ragotte pleine de verve et de d’autorité. Lison et Colas étaient interprétés successivement par Lauren Kennedy et Alexander Akulov d’une part et par Olivia Hartzell et Demian Vargas pour la deuxième distribution. Les deux couples y furent parfaits, illustrant avec brio leur potentiel théâtral. Le corps de ballet n’était pas en reste. Le spectateur pouvait reconnaître les musiques de l’enfance dans une belle interprétation de l’Orchestre de Chambre de Toulouse excellemment dirigé par Enrique Carreon Robledo, un chef que nous retrouvons toujours avec beaucoup de plaisir dans la direction de musique de ballet. Avec, en prime, la chanson « Il n’est qu’un pas du mal au bien » interprétée par les danseurs, les accents mêlés de cette troupe cosmopolite (une quinzaine de nationalités la compose) lui donnant une saveur bien particulière.

Lauren Kennedy et Alexander Akulov dans La Fille mal gardée © David Herrero

Après plusieurs programmes consacrés à des chorégraphes de notre temps, Kader Belarbi a su nous rappeler que le Ballet du Capitole est une troupe très complète pouvant aborder avec bonheur tous les répertoires. La démonstration en a été faite ici.

Qu’on nous permette pourtant de regretter que la programmation des ballets se fasse souvent à des dates « difficiles ». Ainsi, c’est pendant le long week-end de Pâques qu’ont eu lieu la plupart des représentations de La Fille mal gardée, et c’est malheureusement un mal récurrent. Gageons que l’avenir résoudra ce problème, les amoureux toulousains de la danse ne pourront qu’apprécier !

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