Pour la troisième fois depuis sa disparition en 1986, l’Opéra de Paris rend hommage à Serge Lifar, cet immense danseur-chorégraphe qui marqua de son empreinte le monde de la danse du 20 ème siècle.
Trois ballets sont au programme de ce spectacle. Deux sont signés Lifar, ils comptent parmi ses plus célèbres (Suite en blanc/Les Mirages) et entourent une création (l’Envol d’Icare) commandée au chorégraphe français Thierry Malandain, directeur depuis 1998 du Ballet Biarritz.
« Une ode à la gloire de l’Ecole française »
Créé in loco en 1943, cette « Suite en blanc » est une sorte de bilan, un point d’étape que réalise le chorégraphe sur son art. Conçu comme une œuvre de danse pure, ce ballet, fait rarissime chez Lifar, ne comporte pas de thème et permet, simplement, aux danseurs d’exprimer leur parfaite maîtrise de l’art néoclassique. Sur une musique signée Lalo, en fait des extraits de son grand ballet « Namouna », la troupe de l’Opéra de Paris participe avec gourmandise à cette parade technique. Et ce ne sont pas moins de cinq étoiles qui clôturent ce défilé incroyable de numéros dansants. C’est donc, en ce 17 octobre dernier, Agnès Letestu qui héritait de la légendaire « Cigarette », tandis que Nicolas Le Riche dominait insolemment la Mazurka, Delphine Moussin et Jean-Guillaume Bart s’enlaçaient dans un Adage vertigineux de légèreté et Clairemarie Osta s’envolait dans une « Flûte » littéralement ovationnée tout comme d’ailleurs le fut au rideau final l’ensemble d’une troupe depuis longtemps reconnue comme un véritable parangon dans son univers.
Benjamin Pech dans L’Envol d’Icare (photo Sébastien Mathé)
« L’Envol d’Icare », une démarche initiatique
C’est finalement sur une musique du compositeur russe d’origine allemande Alfred Schnittke (1934/1998), en l’occurrence son concerto pour piano et cordes, créé en 1979, que Thierry Malandain a chorégraphié sa vision du mythe d’Icare. Une vision sensiblement plus optimiste que celle transmise par la morale antique puisque se terminant par un happy end. Réunissant pour un même danseur les figures emblématiques du Minotaure, de Thésée et d’Icare, Thierry Malandain propose une démarche initiatique aboutissant à une véritable résurrection, l’envol d’Icare, la dernière incarnation démontrant « la dimension lumineuse et sacrée » de l’Homme.
Se posant ouvertement en « explorateur de l’esthétique classique », Thierry Malandain s’affranchit des codes traditionnels par une liberté et une souplesse d’une remarquable fluidité.
Incarnant cet homme en marche vers la lumière, Benjamin Pech (étoile) s’empare du héros avec une force et une vitalité incroyables, donnant à chacun de ses visages la profondeur de la métamorphose spirituelle. Une somptueuse incarnation.
Emilie Cozette dans le rôle de la Lune (photo Sébastien Mathé)
Autour de la solitude
Un palais de la Renaissance italienne, envahi de nuages, sert de décors à cette évocation de l’Homme face à sa solitude. Signé Serge Lifar pour la danse et Cassandre pour les décors et costumes, le ballet « Les Mirages » est l’œuvre commune de trois grands artistes car il faut ajouter aux deux noms précédents celui d’Henri Sauguet (1901/1989), le compositeur de la musique originale de cette féérie chorégraphique créée in loco en 1947.
Le scénario nous glisse sur les pas d’un Jeune Homme s’aventurant dans ce palais et, mettant la main sur la clé des songes, va ouvrir la porte des mirages. Rejetant son Ombre, il va éprouver la vanité de la condition humaine.
Deux étoiles en littéral état de grâce : Aurélie Dupont et Manuel Legris, interprétaient le Jeune Homme et son Ombre, deux étoiles au fort pouvoir émotionnel ici décuplé par une technique véritablement superlative.
Dans le véritable triomphe qui clôtura cette soirée, il faut associer l’Orchestre de l’Opéra de Paris et son chef, maître Vello Pähn, qui interprétèrent avec un réel bonheur trois partitions appartenant à des mondes bien différents.