Quelle meilleure ouverture de saison pour l’une des rares Compagnies encore classique française que l’intemporelle Giselle, archétype absolu du ballet romantique ? Et ce dans la version, revisitée avec brio, de Kader Belarbi.
Nous avions, dans ces même colonnes, évoquée la parfaite réussite de cette « nouvelle » Giselle : un premier acte portant la griffe du chorégraphe dans le découpage musical, la grande lisibilité de l’action, le tout sublimé par les décors de Thierry Bosquet et les superbes costumes d’Olivier Bériot directement inspirés des toiles de Breughel l’Ancien ; un deuxième acte tout de délicatesse, d’onirisme, de transparence, royalement servi par les danseuses du corps de ballet.
Giselle – Julie Charlet et Davit Galstyan © David Herrero
Et nous avons retrouvé toute la magie qui nous avez transporté en ce temps de Noël 2015 face à ce si beau spectacle. L’autre atout d’un spectacle de danse, au-delà de la chorégraphie et de l’« habillage » visuel et sonore, ce sont bien évidemment les danseurs. Il nous a été donné de voir deux des trois distributions proposées par Kader Belarbi. Julie Charlet et Natalia de Froberville dansaient, en alternance, le rôle-titre. Et, comme il advient souvent, cela a donné lieu à deux interprétations assez différentes entre émotion et technique. Natalia de Froberville nous a offert une Giselle pleine de vie, joyeuse, exubérante dans le premier acte, et une magnifique et irréelle apparition au deuxième acte. Tout cela mis en lumière par une musicalité et une technique irréprochable : arabesques, diagonale, ballonnés, tout est exécuté à la perfection dans la plus pure tradition académique. La Giselle de Julie Charlet est, elle, tout en émotion, en grâce fragile, jeune fille éblouie découvrant l’amour, avec parfois un regard qui se perd au-delà de la réalité, comme une prémonition funeste ; ou en ombre diaphane et immatérielle qui parcours la scène d’arabesques et équilibres avec la même grâce que dans les danses joyeuses du premier acte. Sa scène de la folie fut d’une rare intensité et l’émotion ressentie était palpable dans le public.
Julie Charlet, Davit Galstyan, le corps de ballet © David Herrero
A leur côté, deux Albrecht, deux danseurs qui s’illustrent brillamment dans une chorégraphie où le jeu le dispute à la technique. Ramiro Samón, tout juste promu premier soliste comme sa partenaire Natalia de Froberville, possède, lui aussi une excellente technique qui fait merveille tant au premier acte où il fait montre d’une ardeur juvénile teintée de la désinvolture du jeune prince déguisé au milieu de ses sujets, qu’au deuxième acte où sa virtuosité fait merveille. Davit Galstyan était l’Albrecht de Julie Charlet. Comme à l’habitude il démontre ici sa parfaite maîtrise technique (les 32 entrechats exécutés à la perfection !) jointe à une expressivité et une théâtralité qui font merveille au premier acte où il se fond à merveille parmi les vignerons et au deuxième acte où son désespoir est tangible et rend sa danse particulièrement dramatique.
Norton Fantinel et le tout nouveau soliste Rouslan Savdenov dansaient Hilarion en alternance. Norton Fantinel tout en puissance virile est parfait en vigneron jaloux et vindicatif, il lui manque juste un de moelleux dans ses réceptions, mais sa technique ne fait pas de doute. Rouslan Savdenov a un jeu peut-être plus théâtral, sa technique, quant à elle, est très sûre et réelle.
Juliette Thélin et le corps de ballet © David Herrero
Dans le rôle ô combien important de Myrtha, Reine des Willis, nous avons vu tout d’abord, Alexandra Surodeeva, soliste tout nouvellement arrivée de l’Opéra de Perm, comme son compatriote Rouslan Savdenov. Sa danse est propre et techniquement irréprochable, mais elle nous a laissé un peu sur notre faim. L’autre Myrtha était Juliette Thélin. Son entrée dans cette longue promenade sur pointe est un enchantement. Et la magie se poursuit tout au long de ce deuxième acte. Une ligne magnifique, des pointes d’acier, une prestance qui donne à sa Reine des Willis l’autorité absolue d’un spectre. Elle fut aussi une Bathilde pleine d’élégance et d’humanité, face à la tendre Giselle de Julie Charlet. Comment cette danseuse dont le talent ne se dément pas de rôle en rôle n’est-elle encore que demi-soliste ?
Et puis il y a le corps de ballet. Les danseuses nous ont offert un groupe de Willis d’anthologie. Tout y est : la symétrie parfaite, l’élégance des arabesques, le travail sur pointes extrêmement précis. Toute la transmission accomplie par Laure Muret continue à porter ses fruits et c’est pour le spectateur un moment magique.
Natalia de Froberville et Ramiro Samon © David Herrero
Et parmi ce corps de ballet se dessinent des personnalités fort attachantes. Nous n’en voulons pour preuve que le pas des vendangeurs dont Kader Belarbi a fait un pas de quatre. Le quatuor formé par Tiphaine Prévost, Ichika Maruyama, Philippe Solano et Amaury Barreras Lapinet nous a offert un feu d’artifice de dynamisme, de gaieté, de virtuosité, tout cela s’appuyant sur une technique excellente et une éclatante joie de danser. Citons également Philippe Solano et Jeremy Leydier pour un désopilant duo d’ivrognes. A l’issue de la dernière représentation, Tiphaine Prévost, sur proposition de Kader Belarbi, a été nommée demi-soliste. Une promotion méritée pour cette danseuse, qui après l’école de l’Opéra de Paris et le Conservatoire Supérieur de Danse de Paris, a parfait sa formation auprès de Matthew Madsen et Vinciane Ghyssens, au VM Ballet de Toulouse (en passe de devenir l’une des pépinières du Ballet du Capitole !) et a démontré au fur et à mesure des spectacles ses qualités d’interprète tant classique que néoclassique.
Natalia de Froberville, Ramiro Samon et le corps de ballet © David Herrero
C’est le chef Nathan Fifield qui officiait dans la fosse, à la tête de l’Orchestre national du Capitole, qui, disons-le, ne nous a pas paru au mieux de sa forme. Des tempi fort lents au 2ème acte, des cordes hésitantes, un ensemble un peu brouillon ; Adolphe Adam, s’il n’avait pas le génie d’un Stravinski ou d’un Tchaïkovski, lui et sa musique méritaient mieux que cela.
Un début de saison qui a comblé les amoureux de la danse classique. Le temps de Noël nous amènera cette année un Casse-Noisette, dans une version très personnelle de Kader Belarbi.
Annie Rodriguez
Article mis en ligne le 10 novembre 2017
Parmi les nouveautés de la saison, les spectateurs ont eu, dans un premier temps, l’agréable surprise de se voir offrir le programme du spectacle. Un programme gratuit et allégé, une aubaine me direz-vous. Oui, certainement, mais un programme sans aucune distribution, avec la seule présentation des grands faiseurs du spectacle : chorégraphe, chef d’orchestre, décorateur, costumier… Premiers solistes, solistes et demi-solistes ont droit à leur photo, mais sans mention de leur rôle. Il faudra donc se transformer en limier émérite pour pouvoir citer les « sans grades » qui tout autant que les « grands » sont les artisans de la réussite du spectacle, mais qui ne seront plus cités et c’est fort dommage pour eux et pour nous !