Cette fin d’année semble marquée par la danse russe dans tout l’hexagone. Hommage aux Ballets Russes de Serge Diaghilev à l’Opéra de Paris, Saison Russe à Toulouse, mais cette fois-ci en célébrant Marius Petipa (1818-1910), ce danseur marseillais d’origine qui va révolutionner la danse russe comme chorégraphe à Saint Petersbourg en y apportant tout son savoir faire français et ses souvenirs d’Espagne.
Nanette Glushak et Michel Rahn ont donc composé un programme fait d’extraits des fastueuses et spectaculaires productions qui sont la signature du maître Petipa, lequel a su allier l’élégance du style français à la vivacité et la virtuosité de la danse italienne, sans oublier l’indispensable rappel de divers folklores, toutes choses qui ont fait la gloire de cette « école russe ». Ils ont également fait appel à deux autres chorégraphes successeurs de Petipa, Leonid Lavroski (1905-1967) et Vassili Vaïnonen (1901-1964).
Paola Pagano dans Raymonda
(Photo David Herrero)
« Raymonda » : Impératrice ou Reine des Fées.
Ce ballet, qui nous entraîne dans un Moyen Âge improbable, est l’illustration parfaite de cette utilisation des musiques folkloriques par Petipa faisant naître quelques anachronismes puisque Raymonda, princesse provençale, n’hésite pas à danser sur des rythmes slaves. Et nous avons pu en voir deux interprétations aussi brillantes l’une que l’autre avec pourtant une approche bien différente. Paola Pagano y est impériale. Dominant ce rôle avec l’impeccable technique qu’on lui connaît, elle occupe la scène de tout l’éclat de sa présence. D’équilibres parfaits en arabesques élégantes, ses pointes d’acier la grandissent encore et c’est un pur moment esthétique que de la voir danser. La seconde distribution est assurée par Juliana Bastos.
Et là, c’est la grâce incarnée qui nous apparaît. Elle fait preuve d’une poésie infinie dans son solo, son jeu de bras ondoyant vibre avec la musique, et son lyrisme nous comble.
Autour d’elles, le corps de ballet nous montre un ensemble parfait, interprétant cette chorégraphie avec beaucoup de justesse et de musicalité. Le Pas de Quatre des garçons est un petit bijou, Davit Galstyan ne pouvant s’empêcher d’ajouter un tour de plus à son saut. Superbe ! même si ce n’est pas forcément écrit. Les costumes chatoyants de Joop Stokvis ajoutent encore à la féerie.
Magali Guerry et Kasbek Akhmediarov dans “Le Corsaire” (Photo David Herrero)
« Le Corsaire » ou le triomphe d’ « Ali-Kasbek ».
Morceau de bravoure présent dans la plupart des concours ou des spectacles de ballet-mosaïques, ce Pas de Deux sur la musique de Drigo est l’occasion pour les danseurs de démontrer leur virtuosité. Magali Guerry et Kasbek Akhmediarov sont à la hauteur des exigences de la chorégraphie. Magali exécute avec son brio habituel sa variation ; ses fouettés, ses attitudes, ses arabesques sont parfaits. Dans l’adage, elle forme avec son partenaire un couple harmonieux et complice. Quant à Kasbek, que dire sinon que sa variation est un modèle du genre ? Manège, tours, sauts, tout est exécuté avec une précision, une énergie qui n’excluent en rien la musicalité et la beauté des gestes. Ajoutez à cela le sourire qui illumine enfin son visage et vous comprendrez l’ovation qui salue sa performance. La deuxième distribution réunit deux danseurs parmi les plus prometteurs de la compagnie : Gaëlle Riou et Raphaël Parrate, nouvellement promu demi-soliste. Gaëlle démontre une nouvelle fois son très grand talent qui « explose » depuis l’an dernier. Grande technicienne, elle danse avec un tel bonheur qu’on ne peut que saluer sa performance. Raphaël nous parait un peu en retrait lors de sa variation, un peu en dessous de ce qu’il est capable de faire. Non que sa prestation soit quelconque, bien au contraire : toutes les difficultés de cette chorégraphie sont surmontées, parfois brillamment, mais on le sait capable de tellement mieux.
María Gutiérrez et Valerio Mangianti dans “Roméo et Juliette” (Photo David Herrero)
« Roméo et Juliette » : un amour à sens unique .
Lorsque Prokofiev écrivit cette page musicale qui deviendra le « Pas de Deux » de la fin du premier acte de « Roméo et Juliette » il devait imaginer l’émoi de ces jeunes gens qui viennent de découvrir l’amour. María Gutiérrez est une Juliette juvénile, toute de candeur et d’émerveillement devant ce miracle qui vient de la transfigurer. Car il s’agit bien de transfiguration : quelle grâce, quelle pudeur et quel élan amoureux à la fois ! Petite fille qui découvre le premier émoi amoureux et femme enfin, María exprime tout cela avec beaucoup de poésie. A ses côtés, Valerio Mangianti est un Roméo passablement distant, souvent maladroit dans ses portés, surtout le soir de la première, mais plus concerné, en apparence, la matinée du 27. Qu’on nous permette d’exprimer ici un regret teinté de nostalgie : Breno, comme vous nous avez manqué !!
Davit Galstyan dans “Les flammes de Paris” (Photo David Herrero)
«Les flammes de Paris » : un incendie prénommé Hugo !
Ballet du chorégraphe russe Vassili Vaïnonen, cette œuvre met en lumière des scènes de la Révolution Française et le Pas de Deux qui nous est présenté est prétexte à des exercices virtuoses de la part des danseurs. La première distribution est assurée par Maki Matsuoka et Davit Galstyan. Cette danseuse nouvellement arrivée dans la Compagnie est une découverte à chaque spectacle. Gracieuse, musicale, elle survole les difficultés de la chorégraphie avec une assurance et une maîtrise que beaucoup lui envieraient. Davit, quant à lui, déborde d’une énergie impressionnante à canaliser parfois pour être à l’unisson de sa partenaire. La deuxième distribution réunit Marina Laffargue et Hugo Mbeng. Marina en habituée des planches est une « tricoteuse » de belle allure, enchaînant tours et arabesques avec un aplomb « révolutionnaire ». Mais celui qui met véritablement le feu à la salle est Hugo Mbeng ; déjà remarquable dans le Pas de Quatre des garçons dans « Raymonda », il est ici proprement incroyable. De sauts en manèges, de tours en entrechats il impose sa présence avec une autorité, une assurance sereine au service d’une technique sans faille. Ses trois sauts dit en « révoltade », que l’on a peu coutume de voir sur nos scènes européennes mais bien plutôt du côté de Cuba, coupent véritablement le souffle de tous les spectateurs de la Halle aux Grains. Bravissimo Hugo !
María Gutiérrez et Kasbek Akhmediarov dans “Paquita” (Photo David Herrero)
« Paquita » : un final éblouissant.
Ce programme russe se termine par un extrait de « Paquita », le seul morceaux en réalité qui reste de l’ensemble de cette oeuvre dans le répertoire des troupes de ballet classique, à savoir le Grand Pas Classique qui a la particularité de ne comprendre que des danseuses et un seul danseur. L’entrée du corps de ballet est fastueuse, de par les costumes, les alignements et la perfection des mouvements d’ensemble. Les 3 variations mettent en valeur tour à tour le brio et la grâce de l’ondoyante Juliana Bastos, la royale Marina Lafargue, l’éclatante Gaëlle Riou, la toute gracieuse Maki Matsuoka, et la lumineuse Lucille Robert. María Gutiérrez assure de manière princière les deux distributions. Son solo démontre une fois de plus l’excellence de sa danse dans le répertoire classique. Tout est absolument en place : arabesques, fouettés, tours, rien n’est jamais de l’à peu près. A ses côtés Kasbek Akhmediarov, dans la première distribution, est comme toujours extraordinaire. Sa variation arrache d’incessants applaudissements au public. C’est Davit Galstyan qui lui succéde dans la deuxième distribution. Et nous voyons ce que nous attendions : un beau fauve enfin dompté, sachant user de son énergie à bon escient, très attentif à sa partenaire, exécutant un solo parfait , avec une élévation retrouvée, nous démontrant que la technique est bien là, et que la discipline est toujours payante.
L’orchestre, placé sous la direction de David Coleman, participe aussi au plaisir que nous prenons à ce spectacle, même si le soir de la première des tempi un peu rapides rendent un peu plus difficiles certaines figures déjà bien compliquées par la chorégraphie. Cette « Saison Russe » a un air de fête qui met des étoiles dans les yeux des nombreux enfants venus assister au spectacle, heureux prélude au temps de Noël.