Danse

Des liens, une pavane et une symphonie… A nos amours

A l’invitation de Frédéric Chambert, Directeur du Théâtre du Capitole, et de Nanette Glushak, Directrice de la Danse, Kader Bélarbi, Etoile de l’Opéra de Paris, tout jeune retraité, et chorégraphe en pleine maturité est venu créer et recréer deux chorégraphies pour la Compagnie, et danser une « pavane » aux côtés de Monique Loudières, elle aussi Etoile de l’Opéra de Paris.

Liens de table : Maria Gutierrez – Davit Galstyan – Valerio Mangianti – Paola Pagano

(Photo David Herrero)

Liens de table : de la difficulté de vivre en famille.
Créée à l’origine pour l’Opéra du Rhin, sur le Quatuor n°8 de Chostakovitch, cette œuvre retravaillée pour le Ballet du Capitole, met en scène une famille réunie autour de la table dominicale. Pièce difficile à la chorégraphie rude et parfois hermétique à l’image de la musique qui l’accompagne, elle commence par un semblant d’harmonie entre les quatre personnages, jusqu’à ce que le fils se rebelle contre cette atmosphère lourde et oppressante rompant symboliquement le cordon ombilical, représenté sur scène par une corde rouge descendant des cintres. Davit Galstyan, dans la première distribution, incarne à la perfection cette révolte avec une agressivité, une énergie remarquablement servie par une technique qui s’adapte parfaitement à la chorégraphie très contemporaine de Kader Bélarbi. Maria Gutierrez est la fille tiraillée entre l’envie de le suivre et la tendre mais ferme pression parentale, avec cette présence et cette capacité à se couler, avec un égal bonheur, dans n’importe quel rôle. Paola Pagano marque de son empreinte et de son élégance le rôle de la mère qui grâce à elle n’est pas la femme en grande souffrance et désarmée que suggère la chorégraphie. Valerio Mangianti campe avec autorité le père, qui ne pourra malgré tout empêcher son fils de se libérer de l’emprise familiale et de terminer, de façon symbolique, debout sur l’un des pieds de la table, renversée à la fin de la pièce. Dans la seconde distribution, Hugo Mbeng, le fils, nous en donne une interprétation qui pour être moins « agressive » n’en n’est pas moins efficace. Maki Matsuoka, la fille, et Isabelle Brusson, la mère, nous démontrent avec brio que la danse contemporaine leur est aussi familière que celle plus classique où nous les avions surtout vues jusqu’ici.

A nos amours : Lucille Robert – Kasbek Akhmedyarov (Photo David Herrero)

A nos amours : hier, aujourd’hui et demain.
Création mondiale pour le Ballet du Capitole, cette pièce déroule devant nous l’existence d’un couple aux trois âges de la vie. Un dispositif scénique astucieux, trois cages vitrées, accompagne ces trois étapes, enfermant et libérant tour à tour les trois couples de danseurs. La jeunesse, en short, pleine de fougue, s’émerveille de cet amour naissant, s’amuse, se perche sur un tabouret. Gaëlle Riou et Raphaël Paratte prêtent aux personnages leur vivacité, leur bonheur de danser. C’est Lucille Robert et Kasbek Akhmedyarov qui interprètent, avec brio, le couple dans la force de l’âge qui s’aime avec passion, se déchire avec autant d’ardeur, s’éloigne, se retrouve et s’enferme dans la cage cossue qu’occupe la chaise « design » de la réussite sociale. Evelyne Spagnol et Jérôme Buttazzoni étaient le dernier couple, celui de la sérénité, de la tendresse, de l’apaisement, symbolisé par ce banc partagé et ce miroir où dans un dernier geste de coquetterie, à moins que ce ne soit un ultime regard vers le passé, la danseuse lisse une mèche nullement rebelle. Bien que très harmonieuse, la chorégraphie, dans ce « troisième acte », reste un peu répétitive. « L’Heure Exquise » de Reynaldo Hahn réunit tous les couples avant que les hommes ne s’éloignent, laissant place dans les pièces-cages aux femmes, inversant ainsi le mouvement du début du ballet. Les danseurs de la Compagnie ont encore une fois démontré, si besoin était, leur musicalité, leur jeu d’acteur et leur grande rigueur classique dans une chorégraphie contemporaine, où passent en filigrane les influences de Mats Ek.

Monique Loudières et Kader Bélarbi

dans “La Pavane du Maure”

(Photo David Herrero)

Une Pavane et deux visions.
Dans cette troisième pièce, emblématique de la danse moderne américaine, Kader Bélarbi abandonnait le rôle de chorégraphe pour redevenir danseur et se couler dans le rôle d’Othello et la chorégraphie de José Limón. C’est Monique Loudières qui était sa Desdémone. Pour l’un comme pour l’autre c’était une prise de rôle et l’un et l’autre nous avaient dit que ces rôles étaient des rôles de la maturité. Et ils nous l’ont démontré avec beaucoup de maestria. C’est une interprétation extrêmement théâtralisée que celle qu’ils nous ont offerte. Kader Bélarbi nous décrit avec un réalisme saisissant la progression du doute et de la jalousie jusqu’au drame. Monique Loudières est une Desdémone éperdue d’amour, toute en fragilité et en innocence pourtant teintée de pressentiment, d’imminence du malheur.

Evelyne Spagnol en Emilia donne toute la mesure de ses dons d’actrice, intrigant avec une grâce infinie. Kasbek Akhmediarov campe un Iago, servile, inquiétant, à la fois félin et athlétique dans sa danse, sans pouvoir toujours se départir de ce masque qui fige son visage.

La deuxième distribution nous a donné une autre vision de cette « Pavane », plus dansée, moins théâtrale. Valerio Mangianti est un Othello plus violent face à une Lucille Robert-Desdémone plus gracile et timide et une Ina Lesnakowski-Emilia primesautière et légère. Jérôme Buttazzoni-Iago domine cette chorégraphie avec un art consommé de la rouerie et de la fausse servilité.

“La Pavane du Maure” : Ina Lesnakowski-Jerôme Buttazzoni – Valerio Mangianti –

Lucille Robert (Photo David Herrero
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Beethoven 7 : un souffle de liberté.
Après la tonalité un peu sombre de ce début de programme, le « Beethoven 7 » d’Uwe Scholz apportait la note brillante dans cette soirée. Ce ballet du chorégraphe allemand trop tôt disparu, grand admirateur de John Cranko et Balanchine, reste l’un des fleurons de la Compagnie. Cette pièce qui réunit la presque totalité de la troupe demande rigueur, ensemble et musicalité, toutes choses dans lesquelles elle excelle. Certes la scène et surtout le manque de dégagement de la Halle aux Grains ne permettent pas toujours des entrées en alignement parfait, mais ce n’est que péché véniel face à la technicité des danseurs. Les solistes ne sont pas en reste. Magali Guerry, dans le premier mouvement, démontre une fois de plus sa virtuosité et la beauté de ses équilibres. Paola Pagano, dont les proportions idéales accentuent encore l’élégance du port, fait preuve d’une présence et d’un lyrisme saisissants. Davit Galstyan et Raphaël Paratte bondissent à qui mieux mieux dans un amical « mano a mano » et Maria Gutierrez, feu follet tout à la joie de danser, tourne, virevolte et entraîne toute la troupe dans un final qui soulève l’enthousiasme du public.
Une création mondiale, une recréation et deux prises de rôles dans un même spectacle, ce programme est certainement le plus novateur que nous ayons vu jusqu’à présent. Et une fois de plus, les danseurs du Capitole ont démontré leur grande capacité d’adaptation à tout type de chorégraphie.

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