Danse

Couples et couples, tel un entredeux…

Deux reprises et une entrée au répertoire, voilà ce que nous proposait Kader Belarbi pour ce deuxième spectacle de la saison, avec comme fil conducteur le couple, les couples, avec leurs balbutiements, leurs vies, leur désirs, leurs rêves…
A nos amours
Créé en 2010 pour le ballet du Capitole par celui qui n’était pas encore directeur du ballet, A nos amours, déroule devant nos yeux la vie d’un couple aux trois âges de leur existence. Trois étapes, trois lieux de vie symbolisés par trois pièces-cages vitrées d’où s’échappent alternativement trois couples de danseurs, symbolisant trois âges de la vie et trois étapes de l’amour. La jeunesse exubérante, tout à son bonheur, danse et virevolte, faisant mine de se fuir pour mieux se rattraper, même si parfois la vision de ce qui pourrait suivre dans l’avenir à travers les autres couples, fait naître une interrogation, voire un mouvement de recul. Le couple dans la force de l’âge et de l’amour s’aime toujours avec passion mais se déchire, fuit et se retrouve dans la cage cossue qu’occupe la chaise « design », symbole d’une réussite sociale qui prend parfois le pas sur les sentiments. Le troisième couple est l’image rassérénée de l’amour qui n’est peut-être plus passion, mais qui irradie de tendresse. Banc partagé, miroir reflet d’hier, l’esquisse d’un dernier geste de coquetterie, avec un fond de tristesse qui sous-tend les derniers feux d’une vie.

Maria Gutierrez et Avetik Karapetyan – A nos amours © David Herrero

Reprendre un ballet créé pour et avec des danseurs précis, est toujours une gageure pour le chorégraphe se retrouvant avec des interprètes tous nouveaux. Et bien sûr l’interprétation est forcément un peu différente, même si le propos du chorégraphe est toujours aussi clair. Julie Charlet et Davit Galstyan (1ère distribution), Eukene Sagues Abad et Shizen Kazama (2ème distribution) ont toute la fougue nécessaire pour interpréter les Jeunes. Pourtant, à technique égale, notre (légère) préférence va à ce deuxième casting, plus théâtral dans l’expression des sentiments. Les Adultes étaient interprétés tour à tour par Béatrice Carbonne et Takafumi Watanabe puis Julie Loria et Artyom Maksakov. Tous défendent avec ce qu’il faut de passion et de rejet à la fois cette vision de l’amour « établi ». Nous retrouvions María Gutiérrez et Avetik Karapetyan d’une part et Juliette Thélin et Valerio Mangianti d’autre part dans le rôle des Vieux. Leur interprétation est irréprochable. María, fragile, comme enfermée dans cet amour si pérenne, Juliette apaisée, face à leurs partenaires, tout en tendresse et attention. La chorégraphie de l’ensemble bien qu’un peu répétitive, reste très harmonieuse. La musique de Gabriel Fauré, Reynaldo Hahn, Kodály et Arvo Pärt prête ses accents à cette vision de la vie amoureuse. Les danseurs de la Compagnie ont encore une fois démontré, en s’appropriant ce ballet, leur musicalité, leur jeu d’acteur et leur grande rigueur classique dans une chorégraphie contemporaine où passent en filigrane les influences de Mats Ek.

Eukene Sagues et Nicolas Rombaud – Eden © David Herrero

Eden
Poursuivant la collaboration qui débuta la saison dernière avec Maguy Marin, Kader Belarbi fait entrer au répertoire de la Compagnie ce duo (créé en 1986), Adam et Eve, venu du fond des âges. Eukene Sagues Abad et Nicolas Rombaut, Julie Charlet et Davit Galstyan le dansaient en alternance. Durant les quinze minutes que dure le ballet, la danseuse enlace le danseur, s’enroule autour de son corps, ne touchant plus le sol. Les corps dénudés évoluent sur une musique (?) faite de bruit d’eau et d’orage. C’est techniquement, il est vrai, une prouesse.

L’une des interprètes interrogée dit avoir trouvé un plaisir immense à danser. De jeunes danseurs présents dans la salle ont été enthousiasmés. Nous serons plus circonspects (l’âge certainement !!!).

Certes, sous ces maillots suggestifs, nous avons rapidement discerné la grâce et la fluidité d’Eukene, l’élégance (malgré tout) de Julie, la précision de Nicolas et la puissance de Davit. Mais pour reprendre la réflexion d’une ancienne danseuse (grande soliste internationale) présente, pourquoi la chorégraphe s’obstine-t-elle ainsi à dépersonnaliser les interprètes en les « affublant » de costumes où rien de leur expression propre ne transparaît (souvenons-nous de Groosland la saison dernière) ? N’y a-t-il pas quelques dangers à privilégier une certaine technique au détriment de l’image renvoyée au public ?

La Compagnie – Noces © David Herrero

Noces
Tout à fait différent est le troisième ballet proposé lors de ces soirées. Dans Noces, entré au répertoire en 2012, le chorégraphe belge Stijn Celis reprend le thème créé en 1923 par Bronislava Nijinska pour les Ballets Russes de Diaghilev. Bien évidemment, si le fil conducteur de ce ballet reste le même : le rituel, critiquable, des noces paysannes russes, mariage arrangé où la volonté et le désir des jeunes mariés entre peu en ligne de compte, le traitement en est totalement différent. Une chorégraphie résolument contemporaine fait se côtoyer sur scène 12 filles ennuagées de tulle blanc et 12 garçons strictement et élégamment vêtus de noir. Parade nuptiale sur la surprenante partition aux accents barbares de Stavinski, les lignes se font et se défont. Les gestes saccadés et répétitifs, les sauts, l’offre à peine voilée des corps des filles, tout cela se déroule dans un ensemble parfait. L’harmonie visuelle dégagée par ces mouvements d’ensemble est remarquable. Le corps de ballet apparaît ici dans la plénitude de son art : homogénéité, placements rigoureux, précision dans les enchaînements. Et même si les maquillages sont outrés, ils nous laissent reconnaître aisément les danseurs de la Compagnie qui gardent au-delà de l’unité de l’ensemble, toute leur personnalité.

Partager