Après une gestation de près de deux ans, et une importante compilation de documents, Fabio Lopez offrait, aux plus de mille huit cent cinquante spectateurs de la salle Lauga de Bayonne, sa vision du Lac des Cygnes, ballet mythique s’il en est.
Le rideau s’ouvre sur le clair-obscur d’un paysage, avec, côté cour, un imposant rocher noir feuilleté en strates, des silhouettes d’architecture, et une lumière bleutée sur toute la scène. Le ballet débute par un pas de deux passionnés entre le baron von Rothbart et la femme qu’il aime. Et le drame se produit : elle chute dans le lac depuis le rocher. Désespéré, Rothbart transforme les membres de sa cour en cygnes, afin de leur éviter les affres de la douleur qu’occasionne la perte de l’être aimé.

Après ce prologue, entre en scène le prince Siegfried et sa cour. Nous retrouvons ici le fil initial de l’action du Lac, avec le grand bal donné en l’honneur du prince, afin qu’il choisisse parmi les dames de la cour, celle qui deviendra son épouse. Dans une symphonie de noir et blanc, couleurs qui règneront tout au long de l’œuvre, dans une claire allusion au Ying et au Yang du taoïsme, se déroule le bal à la cour. Les costumes, sobres, académiques noir ornés de bandes blanches pour les garçons, petits paniers noir revêtus de tulle et corselets satinés, donnent à voir un bel ensemble. La chorégraphie de Fabio Lopez semble jouer une fugue dansée, une vision de ces « Folies d’Espagne », ces Folias, nées au Portugal, passées en Espagne et venues en France avec Lully et Marin Marais. Pour souligner cette origine ibérique, le chorégraphe y ajoute un jeu d’éventails, maniés aussi bien par les filles que par les garçons. C’est vif, joyeux, un bel hommage à Marius Petipa, souligné d’un zeste d’escuela bolera. Mais tout cela laisse le prince rêveur, et il préfère aller chasser l’un des cygnes dont le vol a traversé l’azur du fond de scène.

Le deuxième acte nous fait entrer dans le monde mystérieux de bords du lac, où s’ébattent les cygnes. C’est un corps de ballet mixte qui nous invite à la danse. Danseurs et danseuses sont en justaucorps immaculés, les filles ont chaussé les chaussons. On pourrait être surpris par l’ajout masculin dans cet ensemble, mais tout cela est très cohérent avec la vision de Fabio Lopez : Rothbart n’a-t-il pas transformé en cygnes toute sa cour ? La chorégraphie, ici, porte la marque de l’artiste : le style néoclassique qui lui est si cher, des fulgurances contemporaines, un art des ensembles qui déroulent leurs méandres, nous faisant oublier qu’il n’y a que sept ou neuf danseurs sur scène, tant ils occupent l’espace.
Quant au couple Odette-Siegfried , il nous joue toutes les nuances de l’amour naissant. La surprise du prince, le trouble effarouché d’Odette, leur complicité enfin. Leur pas de deux est une subtile compilation du vocabulaire classique et néo-classique : les jetés, les pirouettes, les très belles arabesques que soulignent les portés si propres au chorégraphe, les pieds qui pliés en équerre se dressent en une pointe parfaite. Cette harmonie est seulement troublée par le deus ex machina, Rothbart, auquel le bras gauche, terminé par une immense serre aux ongles démesurés, lui donne des allures de prédateur inquiétant. Serre dont il menace Siegfried, serre qui rassemble dans l’effroi la troupe des cygnes.

Siegfried comprend qu’il ne sera pas de taille contre le magicien, et qu’il va perdre à jamais Odette. Sauf s’il offre en sacrifice sa propre humanité. Il demande donc à Robarth de le changer en cygne pour pouvoir rejoindre son aimée. Le magicien accède à sa demande et Siegfried se transforme en magnifique cygne noir. Le Ying et le Yang se rejoignent : le blanc et le noir, l’ombre et la lumière…Odette et Siegfried enlacés dans un baiser sans fin s’éloignent vers un ailleurs inconnu. La troupe des cygnes s’ébroue et la scène se vide. Apparaît alors Rothbarth, la main ensanglanté, dépourvue de sa serre, le dos éclatant sous la poussée des plumes d’une aile. Le magicien a rompu le maléfice, terrassé par l’amour et y trouvant sa rédemption.
Cette vision nouvelle de cette œuvre mythique est portée par une Compagnie de jeunes danseurs qui se donnent à la danse inconditionnellement, dont l’envie de danser rejailli sur les spectateurs. Alessandra de Maria est Odette. Une Odette qui sait nous faire passer toutes les émotions qui l’agitent. A cela s’ajoute une assurance, une technique sans faille dans les équilibres, les sauts, qui se joue des difficultés chorégraphiques du ballet. David Claysse, à ses côtés est un prince comme on en rêve dans ces ballets du répertoire. Tout en fluidité en souplesse lorsque la chorégraphie l’exige, mais vigoureux dans les sauts et les pirouettes. Partenaire attentif, il fait merveille dans les portés exigeants de Fabio Lopez. Gaël Alamargot est Rothbart. Ce danseur, plutôt contemporain, a une stature et une présence sur scène impressionnante. Il apporte une épaisseur à son personnage qui lui donne de la noblesse dans sa noirceur.

Pour accompagner cette vision si personnelle du Lac, Fabio Lopez fait appel bien évidemment à la musique de Tchaïkovski. Pourtant, les balletomanes qui connaissent l’œuvre sur le bout du doigt, peuvent être désarçonnés par l’arrangement souhaité par le chorégraphe. La ligne musicale n’est pas linéaire et ne suis pas la partition. Fabio Lopez choisi ses morceaux en fonction de sa chorégraphie. D’autre part, l’œuvre étant beaucoup plus courte (1h10) que l’original , il était impossible de donner l’œuvre musicale dans son entier. Mais le chorégraphe nous réservait une merveilleuse surprise. Le très beau pas de deux d’Odette et Siegfried était accompagné par un duo chanté, tiré de l’opéra Ondine1, ainsi qu’un autre duo Tears2 du même Tchaïkovski. La beauté des voix et la douceur de la langue russe ont rendu ce moment absolument magique.
La scénographie de Enki Billal et Hugo Germain, la conception lumière de Christian Grossard, les costumes d’Olivier Bériot et de Fabio Lopez ont donné lieu à un spectacle qui conquis le public si nombreux de Bayonne. Il faut souhaiter qu’il puisse tourner dans de nombreux théâtres en France et à l’étranger, afin qu’un plus large public puisse découvrir le talent de Fabio Lopez.
Annie RODRIGUEZ
- – Undina, TH 2: Duet of Undina & Huldbrandt. Andante non troppo · Tamara Milashkina & Evgeny Raikov / Moscow Radio Opera Orchestra
- – 6 Duets, Op. 46: No. 3, Tears (Natalia Petrozhitskaya, Dmitry Zuev & Antonina Kadobnova)