Danse

Baptême du feu pour Kader Belarbi

Ce 24 octobre est une date importante pour le Théâtre du Capitole car, non seulement c’est l’ouverture d’une saison chorégraphique qui n’a jamais connu une telle ampleur mais c’est également le premier spectacle présenté par Kader Belarbi, le nouveau directeur de la danse de l’illustre institution toulousaine.
L’ancienne Etoile de l’Opéra de Paris n’a pas choisi pour ce faire la facilité. En consacrant l’entier programme de cette soirée à Stravinski, il fait d’un même coup entrer au répertoire de notre Compagnie trois nouveaux ballets : Pulcinella, Symphonie de psaumes, Noces.

Avant d’aborder la partie chorégraphique du présent article, saluons comme il convient la participation capitale dans la réussite de cette soirée de l’orchestre (direction Tugan Sokhiev) et des chœurs (direction Alfonso Caiani) du Capitole. Afin de ne pas répéter ce que Serge Chauzy a écrit dans son excellent article sur l’interprétation musicale de ces œuvres qui furent données en concert peu de temps avant avec les mêmes artistes, permettez-moi de vous renvoyer simplement sur ses commentaires car je les approuve entièrement, à un bémol près, la petite forme des solistes vocaux dans Pulcinella en ce 24 octobre.

Pulcinella : Nicolas Rombaut et Maria Gutierrez © David Herrero

Fin de la période russe pour Stravinski
Avec cette composition qui date de 1919, le musicien fait un retour fulgurant au style néo-classique, s’inspirant ici étroitement de Pergolesi et d’autres compositeurs italiens. C’est une commande de Serge de Diaghilev à l’attention des Ballets russes qui créeront l’œuvre dans une chorégraphie de Léonide Massine à l’Opéra de Paris en 1920. Le choix de Kader Belarbi s’est porté sur la version qu’en a réalisée en 1987 le Néerlandais Nils Christe. Tout droit issu de la Commedia dell’ arte, Pulcinella entre au répertoire du Capitole dans une version assez éloignée de l’original qui n’en demeure pas moins un feu d’artifice bourré d’humour et d’énergie. Réclamant à ses danseurs autant de virtuosité que d’habileté dramatique, Nils Christe signe ici, dans les décors et costumes très « napolitains » de Tom Schenk, une fresque truculente et facétieuse dans laquelle se coulent avec un plaisir sans mélange le Pulcinella virevoltant de Nicolas Rombaut et la touchante Pimpinella de Maria Gutierrez. Complétant ce joyeux duo, Davit Galstyan, Valerio Mangianti, Julian Ims, Gaëla Pujol et Laurent Kennedy entraînent comme des fous tout ce petit peuple de Naples vers des sommets de mystification jubilatoire.

Symphonie de psaumes : Tatyana Ten © David Herrero

Comme une profession de foi
Lorsque le chorégraphe tchèque Jiri Kylian écrit le ballet Symphonie de psaumes pour le Nederlands Dans Theater, nous sommes en 1978, il a tout juste 31 ans et vient de reprendre en main les destinées du NDT en déserrance. Il s’adresse alors à ses danseurs et leur dit, au travers de cette chorégraphie : « J’ai besoin de vous tous. J’ai besoin de votre discipline, de votre dévouement de professionnel et de votre sentiment d’appartenances aux autres. Mais j’ai aussi besoin de vos qualités individuelles et de votre univers émotionnel toujours aussi complexe. Je veux que vous sachiez que je comprends vos talents, vos désirs et vos troubles, uniques. Mais j’attends aussi de vous que vous offriez vos talents comme un cadeau à l’avenir de la compagnie. » Comment ne pas imaginer l’ombre d’une seconde que cette réflexion du génial aîné de Kader Belarbi ne hante pas l’esprit de ce dernier au moment même où il prend les rênes du Ballet du Capitole ? Quoi qu’il en soit, cette Symphonie de psaumes est l’une des œuvres majeures de Jiri Kylian. Programmée ici avec une opportunité de situation remarquable, elle nous permet d’apprécier toute la virtuosité des 16 danseurs requis pour l’interpréter. Dans un style néo-classique revisité de manière contemporaine, ce ballet est tout à la fois une œuvre d’ensemble et une œuvre pour solistes distribués en huit pas de deux. Le malaise dont fut victime Valerio Mangianti à l’entracte nous priva de son duo avec Isabelle Brusson. Ils furent remplacés avec panache par Ina Lesnakowski et Dmitri Leshchinskiy. Composée en 1930, mais non destinée à la danse, cette Symphonie de psaumes inspirera plus tard un grand nombre de chorégraphes. Jiri Kylian nous en donne une vision d’un remarquable dépouillement, la scène ne contenant que quelques prie-Dieu et se trouvant délimitée par une véritable mosaïque de tapis descendant des cintres. L’effet est non seulement superbe mais surtout installe immédiatement une atmosphère propice à la dimension spirituelle et mystique qui s’est alors emparée du compositeur. Les danseurs du Capitole font preuve ici d’une rigueur de tous les instants, maîtrisant à la perfection une chorégraphie particulièrement exigeante.

Noces © David Herrero

Noces barbares
C’est au Belge Stijn Celis que l’on doit la version de Noces qui clôture cette soirée. Créée en 2002 à Montréal, ce ballet met en scène le rite barbare des mariages de l’ancienne Russie. Barbare en cela que ni fille ni garçon n’avait son mot à dire et que l’union résultait de stratégies plus ou moins fines ayant pour but l’intérêt des parents ! Stijn Celis va donc opposer, de chaque côté de la scène, 12 filles, toutes de blanc vêtues, à 12 garçons portant le traditionnel costume noir de cérémonie. Dans un mouvement incessant d’attraction/séduction /répulsion souligné par des déhanchements suggestifs, le rite va s’écouler, aussi immuable que tragique. A l’instar du ballet précédent, celui-ci ne comprend pas de partie soliste mais réunit une grande partie de la troupe, une nouvelle occasion de juger de la dynamique d’ensemble et de l’incroyable énergie qui s’en dégage. A noter que, Valerio Mangianti ayant dû déclarer forfait pour ce ballet également, c’est en toute hâte que le jeune Alexander Akulov, nouveau venu à Toulouse, l’a remplacé avec un professionnalisme dont il est normal que nous nous fassions l’écho dans cette chronique. Les longs applaudissements qui ont salué la performance de notre Corps de ballet dans son entier à la fin de cette soirée semblent à l’évidence ponctuer une étape importante dans l’histoire de celui-ci.

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