De la tendresse de Brel, à la sombre poésie de Barbara, jusqu’à la fougue de l’Italie du Sud, place à la chanson.
La cadre de la Halle aux Grains accueillait avec ces Chansons dansées, quelques-uns des plus beaux textes de la chanson de langue française, et la musique vibrante du sud de l‘Italie pour un voyage où se mêle humour, mélancolie, tendresse et énergie bouillonnante.
BREL
Au travers de onze chansons de Jacques Brel, Ben van Cauwenbergh nous brosse l’univers mélancolique ou railleur de son compatriote dont les œuvres ont accompagné sa jeunesse et lui ont donné la passion de cette musique. De pas de deux en solo, de trio en ensembles, le chorégraphe explore le monde changeant de l’artiste, et l’éblouissement est au rendez-vous. La chorégraphie emprunte beaucoup au vocabulaire classique, mais sait aussi utiliser le mime et la grammaire moderne et contemporaine. Toutes choses dans lesquelles les danseurs du Ballet du Capitole excellent. Les titres se succèdent, entre autres : La Valse à mille temps, La chanson des vieux amants, Le plat pays, Les Bourgeois, Mathilde, Amsterdam et bien sûr Ne me quitte pas. Tiphaine Prévost et Ramiro Gómez Samón sont le couple idéal de la première distribution. Leur complémentarité, leur attention l’un à l’autre fait merveille. Quant à leur technique à tous deux, elle se joue des difficultés chorégraphiques qui parsèment les œuvres. Kayo Nakazato et Minoru Kaneko assuraient quant à eux la deuxième distribution avec la même sureté technique et le même engagement dans trois des titres de ce ballet. On attendait, bien sûr Les Bourgeois, petit chef d’œuvre d’humour. C’est à Kleber Rebello et Philippe Solano qu’était confié ce solo. Kleber Rebello fait merveille dans son interprétation. A sa technique remarquable il ajouté un jeu d’acteur de la même facture. Et il n’est pas sans nous rappeler celui qui fit les délices du Ballet du Capitole : Breno Bittencourt. Philippe Solano est techniquement de la même veine, avec peut-être un peu plus de retenue dans son interprétation. Amsterdam donne lieu à deux duos formidables Kleber Rebello et Alexandre de Oliveira Ferrera d’une part et Philippe Solano et Jeremy Leydier (quel charisme sur scène !) d’autre part, qui dansent véritablement les mots du poète. Mais ce ballet à l’immense chance d’être dansé par cette Compagnie où de plus en plus d’individualités s’affirment ou se dévoilent tant au niveau technique que pour l’interprétation : Solène Monnereau, Nina Queiroz, ou encore Giorgina Giovannoni (une vraie découverte !). Le corps de ballet n’est pas en reste dans Rosa, chanson rajoutée par le chorégraphe pour ce spectacle, ou bien Ne me quitte pas !, où l’on pouvait s’attendre à un duo, et où le maître a opté pour l’ensemble des interprètes, pour danser ce final, apothéose musicale et chorégraphique de cet hommage au chanteur

BARBARA – Chor. Morgann Rinacre-Temple – ©David Herrero
Tout autre était la création de la jeune chorégraphe anglaise Morgann Runacre-Temple, sur cinq chansons de Barbara, première œuvre originale conçue pour une compagnie française. Dès l’ouverture du rideau, on plonge dans une pénombre où seule rayonne l’orange voilé d’un abat-jour frangé d’une lampe, laissant deviner un profond fauteuil bordeaux. Une atmosphère qui convient parfaitement à la musique douce-amère qui accompagne la voix de Barbara murmurant la mélancolie d’un texte. La chorégraphie mêle néo-classique et contemporain dans une danse fluide, presque liquide. Les danseurs se croisent, se frôlent, s’enveloppent, glissent ; les groupes se forment pour mieux s’abandonner. Parfois la grammaire classique souligne une arabesque sur le bout d’une pointe. Le travail au sol déroule ses méandres, puis les bras se cassent, les couples se forment dans des étreintes fugaces. On retrouve la « Dame en Noir » dans les costumes d’un noir profond qui, parfois, s’éclairent de paillettes, de cuir ou de transparences ciselées. Les danseurs expriment singulièrement les émotions que distillent les textes ouvragés de Barbara. Natalia de Froberville et Philippe Solano, Marlen Fuerte et Alexandre de Oliveira Ferreira sont remarquables dans le Nantes qu’ils dansent sur une version instrumentale jouée de main de maître par Christophe Larrieu. Mais il en est de même pour Kayo Nakasato et Minoru Kaneko, Solène Monereau, liane ondulante, Juliette Itou, Jeremy Leydier ou Simon Catonnet dans Du bout des Lèvres. La chorégraphe n’a pu nous donner que cinq des chansons de Barbara sur les sept qui auraient dû figurer au programme. Gageons que nous la retrouverons très vite pour nous présenter son ballet complet.

CANTATA – Chor. Mauro Bigonzetti – © David Herrero
La dernière partie de la soirée est résolument festive avec Cantata, de Mauro Bigonzetti, entrée au répertoire du Ballet du capitole en 2015 . Ce chorégraphe signe avec ce ballet une œuvre débordante de vie, de joie, de dynamisme et de couleurs, qu’accompagnent des musiques de l’Italie du sud, de cette contrée napolitaine terre de passion et de séduction. Dix ans après on retrouve dans cette chorégraphie la farouche beauté des terres méditerranéennes, servie par une gestuelle enfiévrée, passionnée, viscérale. Cette danse instinctive, vitale nous donne à voir la relation enflammée entre homme et femme : la jalousie, la passion, la séduction, les disputes, la violence parfois. Le groupe ASSURD, composé de quatre musiciennes et chanteuses s’accompagne d’un tambour particulier et d’un accordéon et entre dans la danse, jusqu’à la mener. Il fait vivre en direct les chants et les musiques de tradition populaire de l’Italie méridionale, recueillis auprès d’anciens ou retrouvés après de patientes recherches. La Compagnie, chevelures lâchées, pieds nus, se lance sur scène avec une énergie folle pour exprimer ces élans qui parfois submergent les hommes et les femmes dans des affrontements sauvages. De trio en pas de six ou de quatre, de solo en ensemble, tous se donnent avec passion, et lorsque la musique s’arrête, semblent avoir du mal à quitter la scène, encouragés en cela par le torrent d’applaudissements d’un public enthousiaste.
Annie Rodriguez.