Epoustouflant ! Le concert du 22 octobre 2012 restera dans les annales des grands moments de la saison Grands Interprètes. Pour des raisons musicales, certes, mais également pour la leçon qu’il donne sur le plan de l’éducation et de la culture. Incontestablement, dans ce domaine qui nous est cher, le Vénézuela montre la voie à suivre. Au cours de cette soirée de lundi, la phalange de jeunes musiciens, le « Sinfónica Juvenil Teresa Carreño de Venezuela », autrement dit l’Orchestre de Jeunes Teresa Carreño du Vénézuela, prenait ainsi possession de la Halle aux Grains, le temps d’une trop courte étape qui lui permit néanmoins d’y mettre le feu… A signaler qu’il s’agissait là de l’unique apparition en France de cet orchestre pendant la tournée qu’il effectue dans le monde.
La foule des musiciens du mythique Teresa Carreño Youth Orchestra du Vénézuéla, dirigé
par Christian Vasquez, à la Halle aux Grains de Toulouse
– Photo Classictoulouse –
Il faut rappeler que le Vénézuela a créé, dès 1975, ce programme académique orchestral de la Fundación Musical « Simón Bolívar » (Fundamusical Bolívar), plus connue sous le nom de « El Sistema », dans le but de donner une éducation musicale à tous les enfants du pays, et notamment aux moins favorisés. Ce sont ainsi 286 centres académiques qui réunissent quelques 400 000 bénéficiaires. Le fondateur de ce programme, José Antonio Abreu, présent à Toulouse lors de cette visite, peut ainsi déclarer : « Pour les enfants avec lesquels nous travaillons, la musique est pratiquement le seul moyen permettant d’obtenir un avenir social digne. La pauvreté signifie la solitude, la tristesse, l’anonymat. Un orchestre est synonyme de joie, motivation, travail en équipe, ambition ». L’Orchestre Teresa Carreño représente en quelques sortes la partie émergée de ce magnifique iceberg. Composé de 200 musiciens âgés de 16 à 22 ans, il constitue la branche cadette du premier orchestre issu de ce programme, l’Orchestre Simón Bolívar, que Gustavo Dudamel a porté sur les fonds baptismaux.
C’est donc une foule de 160 musiciens qui envahit le podium de Halle aux Grains toulousaine. Une foule aussi ardente que disciplinée et que dirige le jeune chef, vénézuélien lui aussi, Christian Vasquez, déjà connu sur les bords de la Garonne pour avoir dirigé l’Orchestre national du Capitole au cours de la saison symphonique précédente.
Christian Vasquez et ses jeunes musiciens – Photo Classictoulouse –
Alors que l’on s’attend à ce qu’un orchestre aussi nombreux délivre une sonorité massive et compacte, c’est l’inverse que l’on découvre. La précision diabolique de toute la phalange produit un son d’une clarté, d’une transparence inouïes, rehaussées, bien évidemment, par une dynamique sans limite. A cet égard, les premières mesures du poème symphonique Don Juan de Richard Strauss, qui ouvre le concert, coupent le souffle. Rien n’échappe des détails d’une partition riche de couleurs et de rythmes. Aux crescendos implacables succèdent les passages intimes de musique de chambre. Le duo d’amour entre le hautbois (joué par une toute jeune fille) et la clarinette (tenue par un jeune garçon) possède un charme irrésistible. La conclusion pianissimo de l’œuvre résonne longuement avant que l’on n’ose applaudir.
La latinité des Danses Symphoniques de West Side Story, de Leonard Bernstein, ne peut échapper à ces interprètes passionnés. Dès le Prologue, les claquements de doigts se mêlent à la musique. Puis les voix des musiciens qui scandent le Mambo, la tendresse du Cha-Cha, celle de la « Meeting Scene », l’agitation de la bataille font que l’on a du mal à rester sur son fauteuil… Le tragique final s’éteint comme une flamme qui vacille. L’émotion est palpable dans le silence de la salle.
Plus « classique », au sens du traitement orchestral, la symphonie n° 2 de Tchaïkovski plonge ses racines dans le terreau folklorique de la « Petite Russie », autrement dit l’Ukraine. La direction, toujours aussi précise et attentive, de Christian Vasquez oppose les élans lyriques à la nostalgie des mélodies si profondément russes. Chaque solo instrumental frôle la perfection, à commencer par le thème initial, magnifiquement « chanté » par le cor. On ne peut qu’admirer encore l’équilibre parfaitement réalisé entre tous les pupitres, ainsi que la précision irréprochable, notamment dans la réalisation, toujours significative à cet égard, des pizzicati. L’ironie de l’Andantino marziale, la joyeuse course de l’Allegro molto vivace, ne laissent aucun répit à la trajectoire qui mène au tourbillon final et à son inextinguible vitalité.
Le joyeux final en tenue ! – Photo Classictoulouse –
L’énergie profondément musicale qui se manifeste tout au long du concert trouve son exutoire explosif dans la succession des bis que réclame l’enthousiasme du public. A la faveur d’un obscurcissement judicieusement provoqué de la salle, les musiciens troquent leurs uniformes noirs et classiques pour de rutilants blousons aux couleurs éclatantes du drapeau vénézuélien. Tico-Tico no Fubá, Mambo de Pérez Prado, Alma Llanera et la reprise du Mambo de Bernstein, que l’assistance entonne à son tour, se succèdent. Et c’est à une véritable fête qu’assistent, médusés, les spectateurs ravis. Les musiciens se lèvent en cadence, dans une succession de « olas » bien en phase avec la musique et laissent éclater une irrésistible joie de vivre. La fête ne s’achève qu’à regret pour tous les protagonistes, musiciens comme spectateurs. Les musiciens poussant d’ailleurs leur générosité jusqu’à offrir aux spectateurs leurs blousons-drapeaux ! A l’évidence, voici un concert que personne n’est prêt d’oublier.