Les splendeurs de la Sérénissime étaient accueillies avec solennité en la cathédrale Saint-Etienne de la ville rose, ce 9 mars dernier. La nef « raymondine » du grand vaisseau est devenue, pour la soirée, comme une réplique de la basilique Saint-Marc de Venise. L’ensemble de cuivres anciens Les Sacqueboutiers (codirection Jean-Pierre Canihac et Daniel Lassalle), rejoint par le Chœur du Capitole (direction Alfonso Caiani), et les deux ensembles vocaux A Sei Voci (direction Jean-Louis Comoretto) et Scandicus (direction Dominique Rols) s’étaient assurés de la participation d’un groupe de solistes de haute volée pour une somptueuse reconstitution de la messe de couronnement du Doge Marino Grimani en 1595, en la basilique Saint-Marc. L’association Les Arts Renaissants participait également à l’organisation de la soirée, démontrant l’intérêt de telles collaborations ainsi nouées.
Les Sacqueboutiers et le Chœur du Capitole lors de la sonnerie initiale de la messe
– Photo Classictoulouse –
Le travail préliminaire de reconstitution a été accompli avec passion et compétence par Jean-Pierre Canihac, qui assure en outre la direction générale du concert. Comme le veut l’usage du lieu et de l’époque, la célébration ne se limite pas au déroulé liturgique de l’ordinaire de la messe (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei). Elle intègre motets polyphoniques, plain-chant et canzoni instrumentales afin de rehausser la richesse musicale de l’événement. D’autant plus qu’en l’occurrence, le Doge Grimani était un passionné de musique. En outre, on célèbre cette année le quatre-centième anniversaire de la mort du maître de chapelle de l’époque, le grand Giovanni Gabrieli. La musique jouée ce 9 mai est donc, pour l’essentiel, constituée des plus intenses et imaginatives partitions de ce brillant compositeur, né et mort à Venise. Les musiciens et les chanteurs (une soixantaine d’exécutants) sont répartis en trois chœurs, introduisant ainsi une spatialisation du son, telle que la disposition de Saint-Marc de Venise le permet et y incite.
Une partie du chœur et des musiciens dans le Magnificat final
– Photo Alain Huc de Vaubert –
Tout commence par une impressionnante sonnerie de cuivres, improvisation sur une « Basse de Trompette », du spécialiste de l’époque, Cesare Bendinelli. Une ouverture particulièrement rutilante, scandée par une percussion joyeuse, pour une célébration d’une telle ampleur. Le déroulé de la cérémonie alterne donc les incantations épurées, presque austères de plain-chant, exécutées avec ferveur par les Scandicus, et les déploiements fastueux des motets et canzoni. Le Kyrie ouvre la messe sur un foisonnement généreux qui mêle voix et instruments, comme dans un déferlement de vagues sonores. Chacun de ces motets, chacune de ces canzoni possède sa propre richesse. Richesse rythmique qui combine avec art mesures ternaires et binaires, dans une dynamique permanente, richesse harmonique qui emprunte la voie de modulations inattendues et si sensibles.
Jean-Pierre Canihac, au cornetto
– Photo Alain Huc de Vaubert –
Dans le Quem vidisti à 14, le dialogue entre les voix solistes et les instruments atteint une acuité étonnante. In Ecclesiis est le siège de nuances crescendo-decrescendo d’une incroyable force expressive, alors que la ferveur du Jubilate Deo (à 10 seulement !) réjouit le cœur. Le Magnificat, qui clôt la célébration, atteint un niveau de jubilation proprement céleste.
Entre les pièces vocales s’insèrent de splendides canzoni instrumentales, dont la Renaissance avait le secret. La virtuosité des musiciens y trouve un terrain d’expression au plus haut niveau. La Canzon duodecimi à 10 instaure en particulier un dialogue éblouissant entre violons et cornetti qui donne le vertige.
Dans la Canzon in eco à 3 cornetti, de Giovanni Martino Cesare, Jean-Pierre Canihac reprend son cornetto, habile et riche de sonorités, pour un échange spatialisé et poétique, comme pastoral, avec ses deux compères. Et puis, Michel Bouvard, au grand orgue de la cathédrale, balise le déroulement de la messe de quelques pièces solennelles d’une grande beauté.
Les chanteurs solistes de cette messe – Photo Classictoulouse –
Il faut ici souligner les qualités des chanteurs, issus des ensembles participant à la fête. En particulier, chaque membre d’A Sei Voci apporte une contribution irréprochable de splendeur vocale et de style au premier plan des interventions solistes.
On ne peut également qu’admirer l’excellence de la participation du grand Chœur du Capitole. Son adaptation aussi bien vocale que stylistique au répertoire de la Renaissance en dit long sur sa souplesse, sur la permanence de ses qualités vocales et musicales, ainsi que sur la profondeur du travail de préparation mené par Alfonso Caiani.
Enfin, Jean-Pierre Canihac, l’artisan à l’initiative de cet événement, mène tout ce beau monde avec la précision nécessaire ainsi que la souplesse que réclame une musique aussi riche, aussi fervente.