Concerts

Tout feu, tout flamme

Le dernier concert de la saison des Clefs de Saint-Pierre, le 26 avril dernier, puisait chez Dvořák l’essentiel de son programme : deux œuvres majeures de ce grand voyageur imprégné de culture tchèque qui découvrit son Amérique et sut en enrichir sa musique. Le fervent public des habitués y retrouvait les musiciens du Quatuor Kaleïdo, acteurs engagés de cette soirée et membres éminents de l’Orchestre du Capitole : Mary Randles et Oliver Amiel, violons, Domingo Mujica, alto et Benoît Chapeaux, violoncelle. La pianiste Irène Blondel, titulaire de nombreux prix internationaux et professeur au Conservatoire de Toulouse, se joignait aux cordes pour cette belle occasion.

Olivier Amiel et Mary Randles, violons, Domingo Mujica, alto et Benoît Chapeaux, violoncelle, membres du quatuor Kaleïdo dans le Quatuor “Américain” de Dvořák

(Photo Classictoulouse)

En guise de hors-d’œuvre sur le thème de l’Amérique teintée de Bohème, Mary Randles, Domingo Mujica et Irène Blondel ouvrent la soirée sur un « Duo violon-alto avec accompagnement de piano » de Rebecca Clarke. Disparue en 1979 à l’âge de 93 ans, cette compositrice britannique, altiste de surcroît, passa l’essentiel de son existence aux Etats-Unis. Intitulée « Dumka », cette pièce à trois illustre un genre musical originaire d’Ukraine et beaucoup pratiqué par Dvořák. L’humeur en est changeante et volatile. Un parfum d’Europe Centrale en imprègne le déroulement poétique qui s’achève sur une émouvante élégie.

Suit alors le fameux Quatuor « Américain », composé en 1893 dans l’Iowa profond par Dvořák, alors en résidence aux Etats-Unis, et qui résume tout l’art du compositeur. Passé le subtil frémissement initial qui ouvre l’Allegro ma non troppo, les musiciens du Quatuor Kaleïdo s’emparent de cette partition avec une autorité, une cohésion et une intensité admirables en tous points. L’émotion est à fleur de peau dans le Lento, ponctué notamment d’un solo de violoncelle d’une profonde sensibilité (un grand bravo Benoît Chapeaux). Jusqu’au final électrique, enthousiaste, éblouissant, les échanges fusent dans la complicité la plus parfaite. La solidité terrienne d’Olivier Amiel, ici premier violon, la subtile musicalité de Mary Randles, la formidable et chaleureuse sonorité de l’alto de Domingo Mujica et le lyrisme profond, vocal, du violoncelle de Benoît Chapeaux en état de grâce, communient dans la plus exaltante des exécutions. Le public ne s’y trompe pas qui manifeste sa joie comme pour un final de concert.

Le quatuor Kaleïdo et Irène Blondel, piano, dans le Quintette pour piano et cordes n° 2 de Dvořák (Photo Classictoulouse)

La seconde partie de soirée est consacrée au Quintette pour piano et cordes n° 2, composé par Dvořák dans sa « Villa Rusalka » de Vysoká au cours de l’été 1887. Toute l’œuvre témoigne d’un engagement, d’une énergie que les interprètes s’approprient avec une fougue incroyable. L’Allegro ma non tanto, chauffé à blanc, souffle comme une tempête en plein ciel bleu. La joie et le jeu imprègnent la Dumka, d’un lyrisme souriant que bouscule une poussée de fièvre caractéristique de cette forme musicale. Un Scherzo bouillant à souhait et un Finale tourbillonnant achèvent de conquérir un public charmé par cette éblouissante bouffée d’optimisme et de vitalité. Un grand bravo à Mary Randles qui occupe ici la place de premier violon avec l’autorité d’un meneur de jeu. La pianiste Irène Blondel intègre avec une profonde musicalité son jeu clair mais toujours habilement coloré aux timbres mordorés des cordes.

Un bis fascinant remercie l’enthousiasme du public. Il s’agit de la transcription, habile et intelligemment menée par Oliver Amiel lui-même, de la fameuse Ode à la lune de l’opéra « Rusalka » du même Antonin Dvořák. Un beau moment de pure poésie après ce déploiement volcanique !

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