Concerts

Tous les matins du monde, la viole en majesté

Le Concert des Nations dirigé par Jordi Savall - Photo Classictoulouse -

Le 2 mai dernier, au Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie, la saison du 40ème anniversaire des Arts Renaissants s’est conclue sur un feu d’artifice musical. Jordi Savall et son ensemble Le Concert des Nations ont ainsi fêté une double célébration avec le 30ème anniversaire de la sortie du film d’Alain Corneau d’après le roman de Pascal Quignard, Tous les Matins du Monde. Une foule de mélomanes et de cinéphiles a acclamé la performance.

Fort heureusement, le changement de lieu de ce concert, initialement prévu à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines, a permis d’accueillir au Théâtre de la Cité un nombre bien supérieur de spectateurs. Le programme de ce concert constitue en outre un hommage à Pascal Quignard et à Alain Corneau, respectivement l’auteur de l’ouvrage Tous les matins du Monde et le réalisateur du film éponyme qui reçut à sa sortie un accueil triomphal de la part de public.

Outre la présence du Concert des Nations et de son fondateur Jordi Savall, lors de ce concert mémoriel, celle de Pascal Quignard, comme lecteur, a encore renforcé l’attraction de cet événement.

En ouverture de cette soirée très particulière, Claude Scavazza et Jean-Marc Andrieu, respectivement président et directeur artistique des Arts Renaissants replacent cette soirée de célébration du 40ème anniversaire de l’association dans son histoire culturelle.

Ils sont suivis par Pascal Quignard qui évoque, après une vignette musicale significative, les circonstances du tournage du film Tous les Matins du Monde. Circonstances dans lesquelles l’humour le dispute à l’exaltation !

Pascal Quignard – Photo Monique Boutolleau / Les Arts Renaissants –

Le programme musical de cette rencontre fait évidemment la part belle à deux des grands personnages du roman et du film, les compositeurs, Monsieur de Sainte-Colombe, le Père, et Marin Marais, à propos desquels interviennent les citations de Pascal Quignard, extraites de son ouvrage, qui alternent avec les pièces musicales.

C’est néanmoins Jean-Baptiste Lully qui ouvre cette partie musicale. Avec sa Suite Le Bourgeois gentilhomme on retrouve la solennité familière de la musique du compositeur, italien de naissance et pourtant fondateur du style du Grand siècle français. La Marche pour la cérémonie des Turcs, les deux Airs des Espagnols, le Canarie et la Chaconne brillent de tous leurs feux sous les doigts des musiciens, tous familiers de ces partitions. Il faut féliciter Manfred Kraemer, au violon, Charles Zebley, à la flûte traversière, Philippe Pierlot, à la basse de viole à sept cordes, Xavier Diaz-Latorre, au théorbe et à la guitare et Pierre Hantaï au clavecin. De sa magnifique basse de viole à sept cordes, Jordi Savall dirige l’ensemble avec une énergie et une musicalité remarquables.

Jordi Savall et sa basse de viole – Photo Monique Boutolleau / Les Arts Renaissants –

Pascal Quignard évoque alors avec finesse les circonstances familiales de la composition des œuvres de Monsieur de Sainte-Colombe jouées ce soir-là. Elles sont toutes liées au décès de l’épouse du compositeur. Cette séquence s’ouvre sur la très touchante pièce intitulée Les Pleurs. Jordi Savall en détaille cette écriture dépouillée, mais ô combien sensible, pour viole seule. Elle s’enchaîne sur Le Retour, Concert XLI à deux violes égales, dans lequel la viole de Philippe Pierlot dialogue avec celle de Jordi Savall. Un sommet d’émotion partagée !

L’autre grand musicien et compositeur portraituré dans le roman et le film, Marin Marais, occupe une part importante du programme. Deux de ses pièces de viole des 2ème et 4ème livres, qui retrouvent le clavecin et le théorbe, enthousiasment à juste titre l’ensemble du public. Il est vrai que dans les Couplets de Folies d’Espagne, Jordi Savall en particulier déploie une agilité digitale, une virtuosité impressionnantes. Dans La Rêveuse, les interprètes rivalisent de finesse et de nostalgie.

Jordi Savall présentant quelques œuvres – Photo Monique Boutolleau / Les Arts Renaissants –

Après un bref détour vers Les Concerts royaux de François Couperin, les musiciens retrouvent Monsieur de Sainte-Colombe et son Concert XLIV à deux violes égales, intitulé Les Regrets. Evoqués par Pascal Quignard dans son intermède, ces regrets concernent toujours la disparition de l’épouse du compositeur qui réapparaît périodiquement devant ses yeux. Les divers épisodes de ce Concert, annoncés par Jordi Savall, revêtent les affects les plus divers, les plus expressifs sous les doigts des deux violistes.

Le programme s’achève sur une nouvelle pièce virtuose de Marin Marais, célèbre en son temps et de plus en plus jouée de nos jours. La Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris se réfère aux sonneries des cloches de l’ancienne abbaye Sainte-Geneviève de Paris. Le 3ème mouvement de ce recueil, La Gamme et autres morceaux de symphonie pour le violon, la viole et le clavecin, publié en 1723, est l’une des plus célèbres de ses œuvres. Son effervescence est stimulée, exaltée par l’ensemble des musiciens du Concert des Nations. Longuement acclamés, ils offrent deux pièces supplémentaires. La première n’est autre que l’un des célèbres Tambourins de Jean-Philippe Rameau. La seconde est une improvisation sur une pièce célébrant la naissance du futur Louis XIII.

Le Concert des Nations au salut – Photo Classictoulouse –

L’ovation du public se prolonge encore de longues minutes, témoignant ainsi de l’impact de ce retour vers une œuvre littéraire, cinématographique et musicale qui a fait date.

On ne pouvait mieux célébrer ce double anniversaire !

Serge Chauzy

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