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Soie et velours

Fondé en 2009 par Nathalie Stutzmann, l’ensemble Orfeo 55 possède la double pratique des instruments dits « anciens » et des instruments modernes. Si son répertoire actuel explore essentiellement la période baroque, il ne cesse de s’étendre à toutes les époques de création musicale. La carrière vocale de Nathalie Sutzmann se poursuit ainsi en parallèle avec celle de chef d’orchestre. La brillante contralto a trouvé en Philippe Jaroussky un compagnon de route exceptionnellement doué. Les deux chanteurs, accompagnés de l’ensemble Orfeo 55, étaient à Toulouse le 10 décembre dernier, dans le cadre de la saison Grands Interprètes, pour magnifier un programme consacré aux deux plus grands compositeurs lyriques de la période baroque, Vivaldi et Haendel.

Saluons tout d’abord la finesse et l’intelligence avec laquelle ce programme a été imaginé. Se refusant à un mélange alternant l’un et l’autre des deux compositeurs, les artistes consacrent toute la première partie à Antonio Vivaldi, ce prêtre roux de Venise créateur infatigable de mélodies incomparables, et la seconde au virtuose de la voix et de l’aria da capo, le plus britannique des compositeurs allemands, Georg Friedrich Haendel. Les transitions entre les airs sont ménagées par quelques concertos ou mouvements de concertos du premier, puis par des ouvertures ou « sinfonie » du second, autant de pièces instrumentales dont les tonalités sont astucieusement choisies pour établir un lien organique et musical idéal.

Philippe Jaroussky et Orfeo 55 dirigé par Nathalie Stutzmann – Photo Classictoulouse –

L’alternance se crée ainsi entre les deux voix, les deux tempéraments de deux chanteurs profondément musiciens qui finissent par se retrouver dans un fructueux dialogue direct à la fin de chacune des deux parties de la soirée. Après l’un des multiples concertos pour cordes de Vivaldi, celui en sol mineur RV 157, qui tient lieu d’ouverture de la soirée, c’est à Philippe Jaroussky de confirmer l’étendue de son talent, les qualités subtiles de son impeccable vocalisation, son timbre lumineux de soie, son incroyable contrôle d’un souffle inépuisable, son pouvoir expressif d’incarnation d’un personnage. Tout au long de la soirée, il alterne les « affetti », de la pure émotion extatique telle qu’elle s’exprime dans l’air « Gelido in ogni vena », extrait de Farnace, de Vivaldi, ou dans l’élégiaque « « Qual nave smarrita », extrait de Radamisto de Haendel, à la colère qui éclate notamment dans cette aria enflammée du Serse, également de Haendel « Crude furie ».

La contralto Nathalie Stutzmann chante et dirige l’ensemble Orfeo 55

– Photo Classictoulouse –

La même émotion parcourt toutes les interventions vocales de Nathalie Stutzmann, qui par ailleurs, ne cesse de diriger son ensemble avec précision, conviction et ferveur. Son timbre sombre unique se plie avec bonheur à toutes les intentions lyriques des deux compositeurs, comme le ferait un précieux velours sur une statue antique. Deux arias de Haendel brossent en particulier un tableau contrasté de ses possibilités vocales et de son pouvoir expressif. Elle passe ainsi avec aisance de la vocalisation virtuose de l’aria de Rodelinda « Se fiera belva ha cinto » à la sensibilité d’un chant presque désincarné de « Scherza infida » extrait de Ariodante. Un grand bravo également au basson de l’ensemble, Alexandre Salles, qui crée l’atmosphère propice. Ailleurs, c’est au hautbois solo, Emma Black de réaliser de très belles interventions. L’autorité naturelle de Nathalie Stutzmann obtient le meilleur de ce bel ensemble instrumental.

Nathalie Stutzmann et Philippe Jaroussky en duo – Photo Classictoulouse –

Les deux personnalités vocales joignent enfin leurs talents, la finesse de leur chant, dans le premier duo « Nel giorni tuoi felice », de Olimpiade de Vivaldi. L’accord entre les timbres et les tempéraments génère un bonheur de chaque seconde. Les deux voix, si différentes, se complètent idéalement : le velours et la soie, l’eau pure et le feu, le rouge et le bleu… Leur dernier duo du programme « Caro/Cara », de l’Atalante, de Haendel, joue sur le registre d’un marivaudage plein d’humour.

Il ne faut pas moins de deux bis pour convaincre le public chauffé à blanc de laisser partir les artistes. Et encore avec regret ! Exprimant une tendresse qui ferait fondre un iceberg, les deux compères entonnent « Son nata a lagrimar » de Giulio Cesare. Ils concluent sur une véritable scène de ménage plus vraie que nature, celle du duo « E vuoi con dure tempre » extrait de Partenope, toujours de Haendel. Les deux protagonistes quittent même le plateau par des portes séparées ! C’est dire la joyeuse complicité qui les lie.

Un nouveau coup de cœur s’impose ici. Décidemment, la ville rose a beaucoup de chance avec la musique…

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