Concerts

Schubert revisité ou le délire des doigts

Khatia Buniatishvili à la Halle aux Grains - Photo Classictoulouse -

De retour dans la saison des Grands Interprètes, la belle et dynamique pianiste d’origine géorgienne Khatia Buniatishvili, présentait le 13 décembre dernier à la Halle aux Grains un récital consacré à Schubert et à ses prolongements. Son approche atypique de ce répertoire décidemment dans l’air du temps a valu à la musicienne une belle ovation finale déclenchée par une virtuosité délirante.

La construction du programme de ce concert obéit à une certaine logique musicale apparemment bien pensée autour de Franz Schubert. S’ouvrant sur son ultime sonate et un de ses plus célèbres Impromptus, le récital dérive vers les prolongements que sa musique a inspiré à Franz Liszt pour enfin se conclure sur du Liszt pur jus, bien que considérablement arrangé…

C’est sur une vision passablement hors norme de cette géniale et bouleversante sonate n° 21 D 960 que s’ouvre la soirée. Dès le premier mouvement Molto moderato, la pianiste pratique un jeu qui tient plus de la fantaisie, au sens schumannien du terme, que de la douce rigueur schubertienne. Le plus profond dénuement, l’expression d’un intense désespoir et même la manifestation d’une sourde menace émergent du jeu de la pianiste, quitte à bousculer la mesure. Le plus étrange réside dans ces fréquents changements de tempo. Ici une accélération subite, là un ralentissement inattendu et surtout un prolongement presque systématique de tous ces silences lourds de signification dont le compositeur parsème toute sa partition. Comme si l’interprète se réfugiait dans les nuances les plus extrêmes.

Ainsi, après ce premier volet quelque peu chaotique, le poignant Andante s’étire considérablement et surtout plonge les pianissimi dans un quasi-silence. Nouveau contraste, le Scherzo est abordé bride abattu. Ce tempo essoufflant s’accompagne d’un toucher particulièrement percussif. Jusqu’à ce miraculeux mouvement final, Allegro ma non troppo, qui amène aux portes de la mort sur un dernier cri de révolte. Là aussi les nuances les plus extrêmes, du fortissimo explosif au pianissimo à peine audible, caractérisent cette approche contrastée.

L’Impromptu n° 3 qui suit marque un retour vers un certain « classicisme ». La simplicité apparente du propos musical implique un mode plus naturel de l’expression qu’adopte presque sagement la pianiste.

Les deux dernières pièces qui complètent ce programme empruntent leur matière à l’imagination de Franz Liszt. Le fameux lied Ständchen (Sérénade), l’un des tout derniers du recueil Schwanengesang (Chant du cygne) de Schubert, a inspiré au compositeur hongrois une partition équilibrée, et d’une belle invention mélodique. Khatia Buniatishvili lui conserve ce caractère si touchant par son apparente simplicité.

La pianiste au salut envoyant des baisers à l’assistance – Photo Classictoulouse –

La Rhapsodie Hongroise n° 2 de Franz Liszt conclut le programme dans une version ébouriffante. Déjà la partition originale ne manque pas de panache. Mais le grand virtuose Vladimir Horowitz en a épicé la virtuosité de ses aptitudes digitales exceptionnelles. Et que dire de la version « arrangée » par Khatia Buniathishvili elle-même de la révision d’Horowitz ? La belle pianiste rejoint là ce que l’on a appelé jadis les « broyeurs d’ivoire » !

Trois bis s’ajoutent à ces prestations impressionnantes acclamées par le public. C’est tout d’abord le 3ème mouvement intitulé de manière prémonitoire Precipitato de la Sonate n° 7 de Prokofiev. Puis, Khatia Buniatishvili joue avec finesse son propre arrangement de La Javanaise, mais oui de Serge Gainsbourg ! Et la soirée s’achève sur un autre arrangement, celui de Johann Sebastian Bach d’un mouvement de concerto de Benedetto Marcello. Un bénéfique retour au calme.

Qu’il me soit permis de regretter la multiplication des toux indiscrètes, trop souvent à gorge déployée, qui ont ponctué tout le concert et que la majorité des spectateurs et la pianiste elle-même ont dû supporter. Un peu de retenue n’aurait pas nui au déroulement de la soirée…

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 13 décembre 2022 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse :

  • F. Schubert : Sonate n°21, D960
  • F. Schubert : Impromptu n°3, opus 90
  • F. Schubert / F. Liszt : Ständchen S.560
  • F. Liszt / V. Horowitz / K. Buniatishvili : Rhapsodie Hongroise n°2

Partager