Concerts

Saint-Saëns et Ravel, du virtuose au poète

Invités de l’Orchestre national du Capitole, le pianiste Romain Descharmes et le chef Alain Altinoglu animaient le 13 décembre dernier une belle soirée musicale consacrée à deux aspects significatifs de la musique française de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. A la virtuosité élégante de Camille Saint-Saëns succédait la poésie impressionniste de Maurice Ravel. La phalange toulousaine plongeait ainsi dans le riche patrimoine qui l’a en quelque sorte façonnée.
Romain Descharmes s’est produit pour la première fois à Toulouse lors de l’édition 2008 du festival Piano Jacobins. Né en 1980, ce grand artiste, sorti du CNSM de Paris bardé de diplôme, a remporté en 2006 le Premier Grand Prix du Concours International de Dublin, parmi d’autres victoires obtenues dans quelques autres concours internationaux. Sa brillante carrière le conduit à jouer dans de nombreuses capitales. Il a déjà donné des récitals au Carnegie Hall de New York, au Wigmore Hall de Londres, au National Concert Hall de Dublin, au Tsuda Hall de Tokyo… Il est en outre invité dans un grand nombre de pays où il collabore avec de grands orchestres et apparaît dans des festivals prestigieux. En mai 2012, il a fait des débuts remarqués avec l’Orchestre de Paris, sous la direction d’Alain Altinoglu, en interprétant le concerto pour piano et orchestre n° 2 de Saint-Saëns. C’est précisément avec ce concerto et sous la direction de ce même chef qu’il ouvre le concert du 13 décembre à la Halle aux Grains de Toulouse.

Le pianiste Romain Descharmes, soliste du concerto n° 2 de Saint-Saëns avec l’Orchestre national du Capitole dirigé par Alain Altinoglu – Photo Classictoulouse –

L’introduction Andante sostenuto de ce plus célèbre des concertos de Saint-Saëns donne le ton de toute l’œuvre et marque la suprématie du soliste sur son accompagnement orchestral. Romain Descharmes aborde ce préambule, joué par le soliste seul, avec une fluidité élégante, une éloquence qui s’impose d’elle-même, sans artifice ni affectation. Et quelle belle sonorité, pleine, ample, généreuse ! Le Molto animato qui enchaîne mêle ferveur et onirisme dans un élan déclamatoire qu’assume le soliste avec grandeur, mais sans grandiloquence. La virtuosité bon-enfant de l’Allegro scherzando (en effet, pas de mouvement lent dans ce concerto), rappelle à quel point la technique pianistique n’avait aucun secret pour le compositeur. Elle n’en a pas non plus pour Romain Descharmes. Dans le Presto final, la partie soliste déploie une incroyable volubilité athlétique avec laquelle le jeune pianiste semble jouer. Impressionnante performance !

Deux bis viennent compléter cette brillante démonstration. A la poésie raffinée de la 1ère Barcarolle de Gabriel Fauré succède une étonnante étude, soi disant « pour les enfants » (mais légèrement « aménagée » par l’interprète !), de l’Allemand Friedrich Burgmüller.

L’Orchestre nationaldu Capitole et l’Orfeón Pamplonés, dirigés par Alain Altinoglu

– Photo Classictoulouse –

Toute la seconde partie de la soirée est consacrée au ballet complet, chef-d’œuvre admirable de Maurice Ravel, Daphnis et Chloé. On ne saurait se lasser d’un tel déploiement de raffinement orchestral et choral. L’argument de ballet du chorégraphe Michel Fokine (tiré du roman grec Amours de Daphnis et Chloé) a inspiré à Ravel une prodigieuse symphonie à laquelle le chœur sans parole apporte une saveur incomparable. Seul Debussy, avec Sirènes, a atteint un tel degré de finesse.

Alain Altinoglu obtient une belle fusion voix-instruments, intégrant les timbres du bel Orfeón Pamplonés, dirigé par Igor Ijurra Fernández, à ceux de l’orchestre. Emergeant du silence comme un paysage sort de la brume, les premiers frémissements éveillent immédiatement la sensibilité de chacun. Le chef choisit, dans toute la première partie, de prendre son temps. Sa vision poétique soigne les détails d’une orchestration prodigieuse : combinaisons savoureuses des timbres, variété des rythmes, contribution d’une riche percussion, tout concourt à la magie de cette évocation d’une antiquité imaginée. Lorsque bruissent les murmures d’oiseaux du lever du jour, la respiration se fait plus profonde jusqu’à l’irrésistible montée d’adrénaline de la bacchanale finale, ardemment soutenue par les belles voix du chœur. Une apothéose qui doit également beaucoup à chaque musicien. Et tout d’abord à Sandrine Tilly pour son solo de flûte de rêve. Mais aussi aux splendides interventions du cor solo, Jacques Deleplancque, à la trompette invincible de René Gilles Rousselot, à l’ensemble des vents, aux soyeuses sonorités des cordes et au déploiement foisonnant des percussions.

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