Concerts

Rutilance et émotion

Le chef d’orchestre finlandais Dima Slobodeniouk et le pianiste russo-lituanien Lukas Geniušas - Photo Classictoulouse -

Ce 15 décembre dernier, le concert de l’Orchestre national du Capitole a permis au public, venu en nombre, de découvrir deux talents d’exception ! Le chef d’orchestre finlandais Dima Slobodeniouk et le pianiste russo-lituanien Lukas Geniušas, nouveaux venus à Toulouse, ont été acclamés à la suite de chacune de leurs interventions dans un programme musical original et de haute tenue.

Décidemment, la Finlande devient la grande pépinière des chefs d’orchestre de la présente génération. La récente nomination du jeune Finlandais Tarmo Peltokoski comme successeur de Tugan Sokhiev à la direction musicale de l’Orchestre national du Capitole en témoigne au premier degré ! Et voici qu’un autre chef finlandais, Dima Slobodeniouk, offre à Toulouse un triptyque musical mené de main de maître. Rappelons que ce musicien d’origine russe, né en 1975, a d’abord étudié le violon avant de devenir l’un des grands élèves du légendaire Jorma Panula à l’Académie Sibelius d’Helsinki (comme Tarmo Peltokoski d’ailleurs !).

La précision de sa direction, sa clarté expressive se manifestent dès la première pièce qui ouvre son concert. Il s’agit là d’une partition rare du compositeur britannique d’aujourd’hui, Thomas Adès. Sa Three-piece Suite réunit trois interludes instrumentaux de son premier opéra Powder her face (Poudrez-lui le visage), qui fit scandale à sa création. L’Ouverture, la Valse et le Finale se caractérisent par une écriture complexe et brillante à la fois. L’ironie s’y manifeste dès l’Ouverture aux accents tonitruants. La Valse oscille entre un pointillisme grotesque et une étrange démonstration qui conduit au Finale tragique. L’Orchestre adopte avec éclat ce langage coloré grâce à la direction limpide et acérée du chef invité.

A cette pièce nouvelle succède le troisième Concerto pour piano et orchestre de Sergueï Rachmaninov qui introduit un puissant contraste de style. Les interprètes s’investissent dans cette œuvre emblématique avec un engagement stupéfiant. Dès les premières notes, le jeune pianiste russo-lituanien Lukas Geniušas déploie un jeu d’une transparence, d’une fluidité, d’une mobilité exemplaires. La clarté de son toucher subsiste jusque dans les grands déploiements lyriques ou dramatiques dans lesquels le soliste s’investit totalement, tout en conservant un contrôle absolu de l’expression.

Dima Slobodeniouk et Lukas Geniušas lors de l’exécution du 3ème concerto de Rachmaninov – Photo Classictoulouse –

La grande cadence du premier mouvement, Allegro ma non troppo, comme hallucinée, sera suivie d’autres sections solistes d’un impact tout aussi convaincant. L’orchestre offre au pianiste un véritable cocon sonore d’une étonnante adaptabilité. Son commentaire va bien au-delà d’un simple accompagnement. Le dialogue émouvant entre les deux partenaires atteint une complicité touchante dans l’Intermezzo : Adagio. Le chant s’y fait profondément généreux.

Dans le Finale : alla breve, la déclamation donne le vertige. De la jubilation lumineuse à la détermination implacable, les échanges entre le piano et l’orchestre se situent au plus haut niveau. La cadence finale ouvre la voie à l’incandescence de la coda. Le crescendo émotionnel ne cesse de progresser jusqu’à l’explosion finale qui déclenche une ovation du public aussi spontanée que torrentielle. L’impact de cette exécution est tel que le soliste ne peut se soustraire à la tradition du bis. Ou plutôt des bis, puisqu’il revient sur le plateau pour aborder un autre répertoire de musique russe, celui d’un compositeur d’aujourd’hui encore peu diffusé chez nous. De Leonid Desyatnikov (né en 1955) Lukas Geniušas joue deux de ses Songs of Bukovina avec la même transparence et le même pouvoir expressif qu’il vient de déployer dans la musique de Rachmaninov. Voici un talent qu’on ne saurait oublier !

La seconde partie de cette soirée particulièrement consistante est consacrée à une partition dont le nom est très familier aux habitués des concerts, puisqu’il s’agit de L’Oiseau de Feu d’Igor Stravinski. Néanmoins, la musique jouée ce soir-là n’est pas celle de l’une des fameuses Suites tirée du premier ballet du grand Igor, alors âgé de seulement 29 ans. L’Orchestre et Dima Slobodeniouk nous offrent cette fois l’intégrale du ballet original !

Certes, on retrouve les épisodes repris dans la (ou les) Suite(s). Mais ils sont intégrés dans un continuum symphonique qui réalise des transitions ou orchestre différemment certains épisodes. Un orchestre de grande dimension, dans la tradition postromantique est requis pour cette partition initiale. La direction de Dima Slobodeniouk coordonne l’ensemble des forces instrumentales avec toute la précision qu’exige la musique de ballet. Chaque épisode est parfaitement caractérisé et coloré à la manière d’un tableau. Le soin apporté à chaque détail s’intègre dans cette vision « imagée » de la succession des épisodes. La Danse infernale de Kachtcheï ainsi que l’Apothéose finale prennent un relief particulier. Redisons ici la qualité des soli de chaque pupitre à commencer par ceux, nombreux et redoutables, du cor par Jacques Deleplancque, ainsi que ceux de la nouvelle violoniste super-soliste de l’Orchestre Jaewon Kim.

Le chef d’orchestre finlandais Dima Slobodeniouk – Photo Classictoulouse –

La conclusion de cette soirée suscite une émotion particulière. Le délégué général de l’Orchestre, Jean-Baptiste Fra se présente équipé de trois bouquets de fleurs. Il salue ainsi deux musiciennes et un musicien au moment où ils quittent les rangs de l’Orchestre pour cause de départ en retraite. Ses remerciements ainsi que ceux de tous les musiciens et de l’ensemble du public s’adressent tout d’abord aux violonistes Sylvie Viviès et Marie-José Fougeroux. Puis vient le tour du cor solo Jacques Deleplancque qui s’est précisément illustré brillamment lors de ce concert. L’ensemble de son pupitre lui ménage d’ailleurs une touchante sérénade, entonnant un « Ce n’est qu’un au revoir » qui fait fondre le musicien… Un grand bravo à ces valeureux acteurs de la musique auxquels nous devons tant de moments heureux !

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 15 décembre 2022 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse :

  • T. Adès : Three-piece Suite tirés de l’opéra Powder her face
  • S. Rachmaninov : Concerto pour piano et orchestre n° 3
  • I. Stravinski : L’Oiseau de Feu (ballet original)

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