Si la Messe en si mineur a coûté à Johann Sebastian Bach de bien complexes péripéties, elle est vite devenue une sorte d’emblème fondateur de toute musique sacrée, et pas seulement pour la période baroque. Invité par l’association Grands Interprètes, le jeune ensemble Pygmalion, dirigé par Raphaël Pichon, en a donné à Toulouse, le 16 décembre dernier, une vision pleine de conviction, de respect et de ferveur. Voix et instruments intimement mêlés rendent ainsi au Cantor de Leipzig l’hommage de la jeune génération de musiciens.
La Messe en si mineur de Bach recèle encore de nos jours de nombreux mystères difficiles à éclaircir. Parmi ces mystères, le fait qu’un compositeur luthérien conçoive une messe catholique n’est pas le moindre. Il semble bien que cette composition soit motivée par une candidature à un poste officiel à la Cour de Dresde. A l’instar d’Henri IV, Bach aurait-il proclamé : « Dresde vaut bien une messe » ? Quoiqu’il en soit, réjouissons-nous que ces considérations, peut-être alimentaires, aient pu conduire à la naissance d’un tel chef-d’œuvre. Une naissance par étapes puisque le Sanctus, qui se trouve normalement vers la fin de la messe, représente le premier des ordinaires de la messe que Bach compose en 1723. Il faut ensuite attendre 1733 pour que le Kyrie et le Gloria voient le jour alors que l’ensemble de la messe ne sera complété qu’en 1748, deux ans avant la disparition de son compositeur qui n’eut donc pas la possibilité d’entendre son œuvre dans son intégralité. Ce génial puzzle musical n’en possède pas moins une cohérence, une unité et une organisation dramatique dont seul l’auteur des Passions pouvait être capable.
L’ensemble Pygmalion, dirigé par Raphaël Pichon, dans la Messe en Si mineur
de J. S. Bach – Photo Classictoulouse –
Les partitions laissées par Bach offrent aux interprètes un choix assez large d’options. Ce choix porte essentiellement sur l’effectif choral. Si certains préconisent l’emploi d’un chœur de solistes, donc un petit nombre de chanteurs, Raphaël Pichon choisit de confier à un véritable chœur relativement fourni les grands épisodes de la messe. Oh certes pas de ces chorales pléthoriques qui ont longtemps été la règle à l’époque romantique et jusqu’au milieu du XXème siècle ! Une trentaine de chanteurs aguerris composent ainsi le chœur Pygmalion qui représente un atout considérable de cette exécution : virtuose au point de vocaliser avec légèreté, capable de belles nuances dynamiques, exigeant dans la qualité de la prononciation. Rendons grâce à la direction de Raphaël Pichon de parfaitement doser l’équilibre stratégique entre ce chœur et l’ensemble instrumental. La tâche n’est pas rendue aisée par l’acoustique de la Halle aux Grains, un peu sèche pour une telle œuvre destinée à la générosité sonore d’une église. Toutes les options de tempo choisies par le chef s’avèrent joliment assumées par tous les exécutants. Celles-ci correspondent à une large palette, de la lenteur relative du Kyrie eleison initial (évoquant une ascension vers la lumière) à la hâte fébrile du Credo in unum Deum.
De gauche à droite au premier plan : Raphaël Pichon, Damien Guillon, Daniel Behle, Konstantin Wolff, Anna Stéphany et Eugénie Warnier – Photo Classictoulouse –
Une trentaine de musiciens, admirables de professionnalisme, composent l’ensemble instrumental : beaux timbres des hautbois d’amour, des flûtes et des bassons, richesse des phrasés des cordes, réalisés avec imagination, et du continuo. Une mention spéciale doit être décernée aux cuivres qui ne se laissent pas intimider par les redoutables parties que Bach leur réserve. La finesse des trompettes et la virtuosité du cor dans son unique (et presque injouable !) intervention sont à souligner.
Deux sopranos Eugénie Warnier et Anna Stéphany, le contre-ténor Damien Guillon, le ténor Daniel Behle et la basse Konstantin Wolff se chargent des arias et duos solistes. Si certains semblent déconcertés par l’acoustique, l’émotion domine les interventions de Damien Guillon, notamment dans un Agnus Dei d’une grande sensibilité, mais également le Laudamus te d’Anna Stéphany ou encore le Benedictus de Daniel Behle.
Pygmalion et Raphaël Pichon, deux noms à suivre dès lors que Bach nous entraîne plus près du ciel…