Si certains programmes de concert n’affichent que des chefs-d’œuvre connus et consacrés, il en est qui explorent de nouveaux domaines. La soirée du 5 octobre dernier offrait ainsi au public un choix de partitions rares, pleines de soleil et hautes en couleurs. L’Orchestre national du Capitole, dirigé par le chef vénézuélien Christian Vasquez, se parait ainsi des teintes vives et exotiques de l’Amérique latine. Une incursion dans le répertoire d’Europe centrale apportait la contradiction musicale à cette débauche de rythmes et d’effervescence.
Né en 1984 à Caracas, Christian Vasquez est, à l’heure actuelle, directeur musical de l’Orchestre des jeunes Teresa Carreño du Vénézuéla avec lequel il effectue de grandes tournées mondiales. Tournées qui l’ont d’ailleurs déjà conduit à Toulouse avec son orchestre. Il était également à la tête de l’Orchestre national du Capitole le 11 janvier dernier. Très attaché au répertoire de ses racines musicales, il a choisi d’ouvrir la soirée du 5 octobre avec une pièce devenue l’emblème des grandes phalanges issues du fameux projet « El Sistema », les orchestres de jeunes Simón Bolívar et Teresa Carreño. Les danses du ballet Estancia, de l’Argentin Alberto Ginastera, dépeignent avec vigueur et exubérance les activités d’un ranch sud-américain, de l’aube à la nuit, soulignant « la beauté profonde et nue » des vastes paysages. Les quatre danses qui composent cette suite s’articulent comme les quatre mouvements d’une symphonie classique. Elles alternent et opposent atmosphères et caractères. Le rythme prend le pas dès le premier volet « Los trabajadores agricolas » (Les laboureurs). Alors que le rêve envahit la « Danza del trigo » (Danse du blé), « Los peones de hacienda » (Les gardiens de bétail) devient prétexte à une impressionnante cadence de timbales. La « Danza finale » tourne à la frénésie d’un rythme irrésistible. On a du mal à rester assis !
Le chef vénézuélien Christian Vasquez à la tête de l’Orchestre national du Capitole
– Photo Classictoulouse –
La seconde partie rend hommage à un autre grand compositeur sud-américain, le Mexicain Silvestre Revueltas. Ce compagnon de Carlos Chavez, autre grand compositeur mexicain, a beaucoup écrit pour le cinéma. Sa partition conçue pour le film « La Noche de los Mayas » (La Nuit des Mayas, 1939) exalte à la fois l’une des grandes civilisations précolombiennes et la musique traditionnelle mexicaine. La bande sonore originale de Revueltas a été arrangée et éditée par José Yves de Limantour sous la forme de la suite en quatre mouvements donnée en concert. Musique sauvage, forte, contrastée, musique d’images ! La fanfare brillante qui ouvre le premier volet alterne avec de beaux motifs chaleureux et lyriques. Au scherzo que représente le « Noche de Jaranas » succède la « Noche de Yucatan » seul épisode calme qui permet de reprendre sa respiration. Le mouvement final, « Noche de encantamiento » (Nuit d’enchantement) libère toutes les folies. Il est le prétexte au déchaînement d’une multitude de percussions. Une douzaine de musiciens s’affaire ainsi sur toute la panoplie qu’un orchestre puisse exhiber ! Une succession de cadences ébouriffantes concluent cette pièce qui évoque irrésistiblement les grandes fresques colorées du peintre, mexicain lui aussi, Diego Rivera. Outre les multiples instruments « contondants » de la panoplie, on découvre avec surprise les incantations impressionnantes de la conque, grand coquillage devenu trompe de chasse, qu’Aymeric Fournès joue avec ardeur. Un grand bravo également à François Laurent dont le solo de flûte enchante la nuit du Yucatan. Christian Vasquez respire avec cette musique qui semble couler dans ses veines.
La jeune violoniste coréenne Ye-Eun Choi, soliste du 1er concerto de Bartók
– Photo Classictoulouse –
Entre ces deux déferlements de rythmes et de couleurs, la jeune violoniste coréenne Ye-Eun Choi est la soliste du premier concerto de Béla Bartók. Conçu initialement comme un portrait musical de la violoniste Stefi Geyer dont le jeune Bartók était tombé éperdument amoureux, ce diptyque contient en germe ce que sera le style, intense et intime à la fois, de la maturité du compositeur. Œuvre hybride certes, mais chargée d’émotion, ceci dès les premières mesures confiées au seul violon. Ye-Eun Choi se glisse dans la partition avec retenue et finesse. Son jeu souple et raffiné cerne bien les contours d’une confidence touchante et sensible. Le second volet, virtuose en diable, ne pose aucun problème à la soliste dont la belle sonorité ne faiblit jamais devant les assauts des doubles cordes qui parsèment la partition. Elle est soutenue par un orchestre riche et lui aussi virtuose. Admirons les beaux solos des vents, notamment de hautbois et de cor (dont le pupitre est particulièrement sollicité par Bartók).
Chaleureusement applaudie, Ye-Eun Choi offre en bis l’Andante de la 2ème Sonate en la mineur de Johann Sebastian Bach, qu’elle joue avec sensibilitéet recueillement.