Concerts

Phénoménal !

Décidemment, la vie musicale toulousaine déborde d’activités. Le soir de la création, au Théâtre du Capitole, de l’opéra de George Benjamin, Written on skin, avec la participation de l’Orchestre national du Capitole, cette même phalange (ou plutôt son complément !) donne un splendide concert à la Halle aux Grains. Heureux Toulousains qui bénéficient d’une offre musicale d’une telle qualité. Ce vendredi 23 novembre, ils reçoivent ainsi une nouvelle fois l’excellent chef italien Giovanni Antonini et découvrent un clarinettiste d’exception en la personne du Suédois Martin Fröst.

Depuis deux saisons, l’Orchestre national du Capitole a tissé des liens de fidélité et de complicité avec Giovanni Antonini, créateur du prestigieux ensemble Il Giardino Armonico. Le répertoire de ce musicien accompli s’élargit à la période classique à laquelle il restitue une vitalité, un élan hérités de son travail approfondi sur le style baroque. L’accord parfait qui s’est ainsi établi avec les musiciens toulousains s’accompagne, cette fois d’une prestation soliste impressionnante.

Le clarinettiste suédois Martin Fröst, soliste du concerto de Mozart sous la direction du chef italien Giovanni Antonini
– Photo Classictoulouse – O

Ce soir-là, Martin Fröst est l’interprète du génial concerto pour clarinette et orchestre composé par Mozart au cours de la dernière année de sa courte vie. Son interprétation, qui déclenche d’ailleurs l’enthousiasme admiratif du public, fait nettement bouger les lignes de ce chef-d’œuvre dont on croyait tout connaître. Tout d’abord Martin Fröst le joue sur l’instrument pour lequel Mozart l’a conçu, la clarinette de basset en la, qui descend jusqu’à l’ut grave, contrairement à la clarinette classique en la qui se limite au mi. Ainsi les couleurs, notamment celles du registre grave, prennent un relief inouï que l’interprète se charge de mettre en valeur d’une manière éblouissante. En outre, ce dernier enrichit la partition d’une agogique sans limite, d’une infinité de nuances. L’alternance du legato et du staccato, le choix d’ornementer les reprises avec subtilité, de créer de mini-cadences personnelles confèrent une vie frémissante à chacun des trois volets. Ce grand musicien possède en particulier une aptitude incroyable à fondre le son dans le silence, ce qui fait que l’on retient malgré soi son souffle et que les tousseurs impénitents se trouvent miraculeusement muets ! Si l’Allegro initial s’éclaire d’une douce lumière, l’Adagio offre au soliste de miraculeux moments d’extase, comme ce prolongement pianississimo de la dernière note. Dansant la partition autant qu’il la joue, Martin Fröst se glisse dans la peau d’un farfadet bondissant dans le Rondo final, sans éluder pour autant les moments d’émotion, ces silences si lourds d’une attente impalpable. Entouré, choyé par un orchestre d’une chaleureuse transparence, le soliste invente, imagine, dialogue avec chaque pupitre dans une fraternité musicale qui fait chaud au cœur.

Martin Fröst pendant l’Ave Maria de Gounod donné en bis. A gauche Genevière Laurenceau, violon solo, à droite Sarah Inacu, violoncelle solo – Photo Classictoulouse –

Le succès est tel que le clarinettiste offre deux bis au public fasciné. Il s’entoure tout d’abord des chefs des cinq pupitres de cordes de l’orchestre pour délivrer une version, probablement personnelle, de l’Ave Maria de Gounod. Le clarinettiste s’y réserve l’« accompagnement », directement inspiré du prélude du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach, confiant aux cordes le partage de la mélodie. Il délivre ensuite une pièce effervescente de sa propre composition qui combine la voix et l’instrument. Un feu d’artifice salué par une nouvelle ovation.

Le complément orchestral de la soirée n’est pas en reste. Giovanni Antonini a choisi d’ouvrir le concert sur une symphonie d’un compositeur totalement méconnu, contemporain exact de Mozart, Joseph Martin Kraus. Sa musique, tout au moins celle de cette riche partition, est une véritable révélation, comme un maillon reliant Haydn et Mozart. L’angoisse émerge des premières mesures du Larghetto initial, frémissant de dissonances et de chromatisme, à la manière du fameux Quatuor « Les dissonances » de Mozart. Le dramatisme qui enchaîne plante le décor très Sturm und Drang de toute l’œuvre. Après la détente bienvenue de l’Andante, la course haletante, passionnée du final ne relâche jamais sa tension. La direction acérée du chef, le vibrato économe des cordes, l’utilisation des flûtes en bois, le choix de phrasés subtils donnent toute sa force à cette belle musique à découvrir absolument.

Giovanni Antonini à l’issue du concert, acclamé par le public et les musiciens

– Phoro Classictoulouse –

Nettement moins rare, la symphonie n° 8 en fa majeur de Beethoven, n’en est pas pour autant la plus populaire. Le mélange de légèreté, d’humour, de lumière, contraste profondément avec le caractère dionysiaque de la Septième et la vision cosmique de la Neuvième. Le chef italien en exalte la verve, la vitalité grâce au choix d’un élan rythmique irrésistible. La vitalité frémissante de cette œuvre étonnante se nourrit du sens affuté des crescendos, de l’établissement de dialogues permanents entre les pupitres que le chef suscite. L’humour caustique de l’Allegretto scherzando, hommage sibyllin à l’inventeur du métronome, Johann Nepomuk Maelzel, le charme bonhomme du Tempo di Minuetto conduisent à l’épanouissement rythmique de l’énergie concentrée dans un éblouissant Finale. Une nouvelle ovation salue cette interprétation qui recharge les batteries de chacun en cette approche de l’hiver.

Partager