Concerts

Orgue et orchestre, passionnant dialogue à distance

Le partenariat entre l’Orchestre national du Capitole et le Festival international Toulouse les Orgues se trouve à l’origine d’un projet étonnant. Le 13 octobre, le grand orgue de la cathédrale Saint-Etienne et la formation orchestrale au grand complet, située quant à elle à la Halle aux Grains, se sont associés pour un concert qui marque la saison. La qualité des interprètes et du programme constitue évidemment l’intérêt majeur de cette soirée.
Un système de liaison hertzienne spécialement conçu et installé à cette occasion permet ainsi aux interventions de l’orgue de parvenir en temps réel au public de la Halle aux Grains. Afin d’éviter tout décalage intempestif, la liaison est réalisée de manière entièrement analogique. De l’aveu même de l’organiste, la parfaite synchronisation technique ainsi obtenue fournit un confort de jeu plus sécurisant que lorsque l’orchestre est situé dans l’église même. Le bénéfice de ce dispositif est également très appréciable pour le public. Depuis les gradins de la Halle, l’équilibre obtenu entre l’orgue et l’orchestre permet une écoute plus précise de l’orchestre que sous les voûtes très réfléchissantes de l’église et les riches sonorités de l’orgue dans son environnement naturel sont parfaitement respectées. De plus, bénéfice incomparable, la liaison vidéo permet à l’assistance d’observer les coulisses de la console et le jeu du musicien. L’élaboration de l’interprétation de l’organiste n’en est que plus lisible et finalement plus humaine.

Le chef d’orchestre japonais Kazuki Yamada dirige le concerto pour orgue, orchestre à cordes et timbales. L’organiste Michel Bouvard, qui apparaît sur l’écran, est à la console du grand orgue de la cathédrale Saint-Eienne
– Photo Classictoulouse –

Pour l’exécution du fameux Concerto pour orgue, orchestre à cordes et timbales, de Francis Poulenc, la partie soliste est assurée par Michel Bouvard, musicien accompli, pédagogue hors pair et directeur artistique du Festival international Toulouse les Orgues. L’orchestre est dirigé par le jeune chef japonais Kazuki Yamada, nommé Premier chef invité de l’Orchestre de la Suisse Romande depuis la présente saison. Il a récemment remporté le Grand Prix du 51ème Concours International des jeunes chefs d’orchestre de Besançon, mais également le Prix du Public. Leur association dans cette partition atypique réalise une sorte d’idéal. L’écriture de Poulenc adopte ici une démarche que le compositeur lui-même, considéré comme un mélange de « moine et voyou » selon la formule consacrée de Claude Rostand, qualifiait de « Poulenc en route pour le cloître, très XVème siècle si l’on veut ». Reconnaissons qu’il ne conserve du Moyen Âge que le sérieux de l’expression. Les interprètes jouent d’ailleurs parfaitement le jeu de la couleur, du rythme soutenu, de la dramatisation du dialogue. Les échanges entre l’orchestre, opulent et précis, et l’orgue, somptueusement registré par le soliste, possèdent toute l’acuité, la vivacité et le lyrisme parfois désespéré que Poulenc laisse échapper comme à son corps défendant.

Auparavant, Michel Bouvard avait judicieusement ouvert le concert avec la Fantaisie et fugue en sol mineur BWV 542, de J. S. Bach. Une pièce dramatique et déclamatoire dont les éléments thématiques se retrouvent dans le concerto de Poulenc. L’interprète en élabore l’architecture, en souligne la courbe avec ferveur et sensibilité. La grande clarté de la registration n’en restitue que mieux l’élan qui conduit de l’inquiétude vers la sérénité de l’accord final.

Kazuki Yamada saluant à l’issue du concert du 13 octobre 2012 – Photo Classictoulouse –

Xavier Darasse, dont on célèbre le vingtième anniversaire de la disparition prématurée, est l’auteur de l’impressionnante pièce pour grand orchestre « Instants passés » qui complète la première partie. Dernière de la série des « Instants », cette brillante partition construit un édifice symphonique dramatique et contrasté, d’une incroyable richesse de couleurs. Comme héritée d’une coexistence entre Varese et Xenakis, cette œuvre émerge du silence pour finalement s’y fondre. Des explosions d’une extrême violence y côtoient les passages les plus éthérés. L’orchestre, habilement dirigé par Kazuki Yamada, déploie la plus éclatante des dynamiques dans une tension jamais relâchée.

Le grand répertoire français occupe la seconde partie de la soirée, avec la Symphonie Fantastique de Berlioz, une œuvre qui n’a plus besoin d’être présentée aux familiers de l’ONCT. Kazuki Yamada ne se laisse pas impressionner par l’histoire toulousaine de son interprétation. Dirigeant sans partition, avec l’enthousiasme et la légèreté d’un danseur, il construit toute l’œuvre comme un grand crescendo. Il aborde Rêverie et Passions dans la lenteur d’un tempo qui permet toutes les nuances possibles. C’est d’ailleurs cette recherche permanente de la nuance juste qui caractérise son interprétation, particulièrement « travaillée » dans le détail. Il ne s’interdit aucun rubato expressif. Sans pour autant systématiser cette pratique. Ainsi, dans Un bal, le léger rubato du premier énoncé du motif élégant n’est pas répété lors de la reprise de ce thème. Poétique et sensible, la Scène aux champs est suivie d’une Marche au Supplice particulièrement convulsive. Enfin c’est au déchaînement des forces démoniaques du Songe d’une nuit de Sabbat que l’interprétation se livre. Le sarcasme y côtoie la frayeur. L’ovation qui salue cette exécution n’émane pas seulement du public. Les musiciens de l’orchestre manifestent au chef leur enthousiasme et le bonheur évident qu’ils ont eu à jouer sous sa direction. Kazuki Yamada, à l’évidence un nom à retenir.

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