Entre le soleil lumineux d’« Estancia », de l’Argentin Alberto Ginastera et l’éblouissante bacchanale de « Daphnis et Chloé », du Basque Maurice Ravel, le chef espagnol Josep Pons dirigeait le très nostalgique concerto pour bandonéon et orchestre d’Astor Piazzolla. Le concert de l’Orchestre du Capitole du 14 mai dernier réunissait ainsi trois compositeurs imprégnés d’une latinité certaine.
A l’évidence, la direction de Josep Pons fonctionne parfaitement avec les musiciens toulousains qui l’applaudissent chaleureusement à la fin du concert. Couleurs rutilantes, superbe dynamique, grande précision nourrissent les exécutions des trois œuvres présentées. Le ballet « Estancia » du grand compositeur Alberto Ginastera, souvent qualifié de « Villa-Lobos de l’Argentine », bouillonne de vitalité. Les quatre danses qui constituent la suite op. 8a explosent véritablement en ouverture de soirée. Les mouvements extrêmes déploient une frénésie rythmique irrésistible. L’auditeur-spectateur a du mal à rester passif et impassible sur son fauteuil ! La poésie nocturne du mouvement lent, sorte de veillée conviviale, apporte la respiration nécessaire à l’équilibre de la pièce. Cette musique du soleil mérite une notoriété qu’elle n’a pas encore acquise chez nous.
L’Argentin Pablo Mainetti, soliste du concerto pour bandoneon et orchestre d’Astor Piazzolla, sous la direction de Josep Pons (Photo Classictoulouse)
Aucun déficit de notoriété, par contre, ne dessert Astor Piazzolla. Pourtant son concerto pour bandonéon et orchestre, sous-titré « Aconcagua », ne bénéficie pas d’une diffusion aussi profuse que ses courtes pièces à la gloire du tango. Composée pour orchestre à cordes, piano, harpe et percussion, cette partition émouvante respecte la coupe traditionnelle en trois mouvements contrastés du concerto classique. Certes l’expression reste du pur Piazzolla. Le dialogue entre le soliste et l’orchestre se nourrit de cette nostalgie profonde et digne que charrie toute la musique populaire argentine. Sur un tapis orchestral subtil et chaleureux, l’écriture de la partie de bandonéon conjugue un raffinement et une virtuosité que Pablo Mainetti sublime de son jeu constamment émouvant. La longue cadence soliste qui ouvre le Moderato central évoque irrésistiblement son équivalent ravélien dans le mouvement lent du concerto en sol. Formidable performance de Pablo Mainetti, dont la sensibilité dévoile avec pudeur comme une profonde blessure ! Un bis particulièrement touchant offert par ce grand artiste prolonge ce climat captivant tout en demi-teinte. Il s’agit de « Sur », du bandonéoniste et compositeur de tango argentin Anibal Troilo, surnommé Pichuco, qui fut compagnon de route d’Astor Piazzolla.
Les deux suites du génial ballet « Daphnis et Chloé », de Ravel illuminent la seconde partie de la soirée. La direction acérée, mais ô combien charnelle, de Josep Pons éclabousse de lumière toute la partition. Du frémissement nocturne initial à l’éblouissement dionysiaque du final, couleurs, rythmes, contrastes, animent cette exécution gorgée de sève. Chaque solo émerge du tutti orchestral avec cette poésie colorée qui caractérise l’écriture de Ravel. Alangui à souhait, sensuel, « faunesque » à la Debussy, le solo de flûte de Sandrine Tilly donne le frisson. Le public réserve à cette exécution l’accueil triomphal qu’elle mérite.