Pour leur concert d’ouverture de la nouvelle saison des Clefs de Saint-Pierre, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole n’avaient pas misé sur la facilité. Mais quelle bonne idée d’avoir choisi de rendre hommage à Dimitri Chostakovitch et à sa musique de chambre, si forte, si profonde, si magnifiquement sombre !
Comme le rappelle Serge Krichewsky en début de soirée, c’est la 14ème saison des Clefs de Saint-Pierre qui s’ouvre sur ce programme exigeant et plus intense que distractif… Chostakovitch a subi, sa vie durant, de fortes pressions de la part du régime qui, parfois, lui attribue les plus hautes récompenses officielles, puis l’oblige à faire son autocritique lorsqu’une de ses œuvres est accusée de « formalisme antipopulaire ». L’angoisse du lendemain qui l’a constamment habité, à des degrés divers suivant la période, ne pouvait pas ne pas transparaître dans son œuvre. Et c’est précisément dans sa musique de chambre qu’il a pu l’exprimer avec la plus intense profondeur.
La formation de quatuor réunit, de gauche à droite : Julia Raillard et Guilhem Boudrant, violons, Maïlyss Caïn, alto et Sébastien Laurens, violoncelle – Photo Classictoulouse –
La soirée s’ouvre donc sur l’œuvre la plus tardive des trois partitions inscrites au programme, le 7ème de ses 15 quatuors. Considérée par le compositeur comme le « tombeau de Nina », sa première épouse disparue en 1954, cette courte partition en trois mouvements enchaînés date de 1960. Elle développe une atmosphère tragique, presque étouffante. Dès l’Allegretto initial, le ton, comme ironiquement grimaçant, domine. C’est une plainte douloureuse qui nourrit tout le Lento. Le violoncelle et l’alto dialoguent avec retenue. Et c’est sur une fugue macabre que se développe l’Allegro final, qui est tout sauf allègre ! Julia Raillard, ici premier violon, Guilhem Boudrant, second violon, Maïlyss Caïn, alto et Sébastien Laurens, violoncelle, échangent leurs commentaires avec une rare intensité. Ils respirent d’un seul et même souffle et parviennent à fondre leurs jeux tout en conservant leur propre individualité. De la belle ouvrage !
De gauche à droite : Guilhem Boudrant, violon, Inessa Lecourt, piano,
Sébastien Laurens, violoncelle – Photo Classictoulouse –
Le Trio avec piano n° 2 en mi mineur qui suit date de 1944. Là encore le prétexte de l’œuvre est lié à une disparition. Celle de l’ami proche Ivan Sollertinsky, terrassé par une crise cardiaque. Les premières mesures constituent une épreuve redoutable pour le violoncelle qui explore le registre le plus aigu possible grâce à l’utilisation des sons harmoniques. Sébastien Laurens maîtrise parfaitement cette marche sur corde raide. Il est bientôt rejoint par le violon subtil de Guilhem Boubrant dans son registre le plus grave. Les hauteurs ainsi inversées créent un climat étrange et irréel. Le piano dense et grave, tenu avec grandeur et détermination par Inessa Lecourt, complète cet intense jeu de sonorités. Le Scherzo, un Allegro con brio tourbillonnant, déchaîne toutes les folies brillamment assumées par les interprètes. A la terrible plainte du Largo succède la danse de mort terrifiante de l’Allegretto final qui se dissipe dans un silence glacial.
L’ensemble des interprètes réunis pour l’exécution du Quintette op. 57
– Photo Classictoulouse –
Le Quintette pour piano et cordes en sol mineur, de 1940, occupe toute la seconde partie du concert. La noirceur n’y est plus l’élément constitutif essentiel. On respire ici un air moins tragique. Etrangement, le Prélude prend un petit air impressionniste à la Ravel. La Fugue laisse la souffrance s’exprimer, jusqu’à l’exploration du piano dans l’extrême grave. Les musiciens se déchaînent dans un Scherzo explosif plein d’une joie un peu factice. Chez Chostakovitch, la joie n’est jamais très éloignée du désespoir. Après un Intermezzo méditatif et tout en tension, l’Allegretto final rétablit une atmosphère moins angoissée, plus détendue, pour s’éteindre dans un silence énigmatique. Une fois encore, les musiciens s’investissent totalement dans cette vaste partition pleine de questions sans véritable réponse. Cohésion, justesse, profondeur de l’expression nourrissent leur exécution si parfaitement maîtrisée.
Le Scherzo de ce même quintette doit être rejoué pour satisfaire un public légitimement conquis.